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Numéro 21 - rive française - décembre 2011

Zohra Harrach-Ndiaye, déléguée territoriale Paris de l'Assfam, Master d'Anthropologie juridique et en droit des étrangers

Regards sur les jeunes des quartiers

Dans les discours politiques et les médias, l'expression "jeunes des quartiers" ou "jeunes des banlieues" est une construction sociale et politique car la question des banlieues est devenue en France un enjeu politique majeur. Les jeunes apparaissent comme ses principales victimes, durement touchés par le chômage et l'échec scolaire. Ils sont aussi la population la plus stigmatisée dès que les politiques et les médias évoquent la délinquance.  

Loin d'être une catégorie "objectivée", l'expression "jeunes des quartiers" ou "jeunes des banlieues", est afférente aux problèmes sociaux : montée de la violence urbaine, trafic de drogue, retour des bandes, etc. Elle cristallise tout ce qui pose problème dans les banlieues. Elle contribue ainsi à la construction d'une image stéréotypée du jeune devenu au fil des années la figure emblématique du délinquant responsable de l'insécurité de la société. Ce processus a justifié et justifie encore aujourd'hui "le traitement de cette question des banlieues en termes de reconquête quasi militaire, comme s'il suffisait d'éradiquer le mal en criminalisant ' la racaille' pour retrouver la paix civile et l'harmonie sociale" (1).  

Le fondateur de l'anthropologie du droit en France, Michel Alliot, a écrit sur cette tendance des sociétés occidentales à recourir à la violence pour l'éradiquer. Il affirme qu'elles "s'attellent à utiliser la violence pour créer les conditions de son élimination et finalement l'éliminer". Mais, poursuit-il, "l'histoire montre que la violence n'est pas expulsée, elle est seulement cachée. Elle est provisoirement contenue par la promesse de lendemains qui chanteront pour ceux qui acceptent aujourd'hui la renonciation et la discipline. Vienne un temps où le poids de l'institution semblera trop lourd pour justifier le troc du présent contre l'espoir et contre l'intuition, la violence éclatera de nouveau en émeutes que d'aucuns transformeront peut-être un jour en révolution" (2).  

Pour ces jeunes, juridiquement français mais appartenant à une minorité ethnique, ce temps dont parle Michel Alliot est venu. Leurs parents étant immigrés, ils sont discriminés et privés des attributs positifs de la citoyenneté française. Leur "présent cristallise tous les refus" (3), sans que la promesse d'un avenir meilleur leur soit faite. Ils sont convaincus "d'être placés face à un avenir bouché, démunis des ressources nécessaires pour être reconnus comme des membres à part entière de la société. Leur exil est un exil intérieur qui les conduit à vivre en négatif, sous la forme des promesses non tenues et du déni de droits, un déficit par rapport aux opportunités et aux valeurs qu'est censée incarner la société française" (4).  

Privés de l'égalité des droits pourtant garantie par la loi, stigmatisés et discriminés par ceux qui sont censés l'appliquer, certains de ces jeunes sont poussés vers une mort sociale. Ils emprunteront les sentiers de la délinquance en violation d'une règle étatique qui, loin de leur garantir l'égalité de traitement, les criminalise du fait de leurs origines.  

Ces représentations injustes enferment ces jeunes, ils ont le sentiment que la société porte sur eux un regard lourd de préjugés. L'identité assignée socialement finit par devenir celle qu'ils revendiquent, même si elle est "meurtrière" dans certains cas. Car le mépris et l'humiliation ne peuvent engendrer que haine et rejet. En effet, comme l'écrit Amin Maalouf "pour aller résolument vers l'autre, il faut avoir les bras ouverts et la tête haute, et l'on ne peut avoir les bras ouverts que si l'on a la tête haute" (5).  

Les premières victimes de ce face à face sont ces jeunes qui par désespoir bradent leur avenir et acceptent cet état de fait. Lorsque tombent les murs des barres d'immeubles et que s'élargissent les horizons, certains trouvent la force de faire vivre leur qualité de citoyens envers et contre tout. Ils ne veulent plus d'une quelconque identité mais revendiquent haut et fort leur qualité de citoyen à part entière.  

1. Robert Castel , La discrimination négative , in Annales. Histoire, Sciences Sociales, 4/2006 (61e année), p. 784. www.cairn.info/revue-annales-2006-4-page-777.htm
2. Michel Alliot, Ville, violence et éducation , in Le droit et le service public au miroir de l'anthropologie, Paris, Karthala, 2003. Cité par Camille Kuyu dans Ecrits d'anthropologie juridique et politique, Académia Bruylant, P.U.R, 2008, p. 186.
3. Robert Castel, op. cit.
4. Michel Alliot, op. cit.
5. Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Livre de poche, Paris, 2001, p. 53.



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