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Numéro 21 - rive russe - décembre 2011

Olga Bronnikova, doctorante en géographie, Université de Poitiers (Migrinter) et INALCO (CREE)

Diaspora russe en France et en Grande-Bretagne, regards croisés

En France l'immigration russophone commence bien avant le XXème siècle, mais prend véritablement toute son ampleur après la révolution de 1917 avec l'arrivée d'un nombre important d'émigrés " blancs " en France. Au contraire, l'immigration russophone en Grande-Bretagne, peu importante avant la chute de l'URSS, se développe surtout dans les années 2000.Les profils migratoires sont très variés : étudiants, migrants professionnels, scientifiques, réfugiés politiques etc. Les trajectoires migratoires le sont aussi : les migrants viennent de tout l'espace postsoviétique-surtout de la Russie pour les deux pays d'immigration, des pays baltes pour la Grande-Bretagne et de l'Ukraine pour la France.  

L'immigration russophone en Europe est toujours allée de pair avec le développement d'un tissu associatif considérable qui permettait de retisser le lien social dans la terre d'exil. Après la révolution soviétique, les associations de russophones en France fleurissent et sont entretenues par le mythe du retour dans le pays d'origine dans cette " diaspora impériale " (1). Le maintien de la culture et de la langue russes devient alors vital dans les conditions de l'immigration notamment pour la deuxième génération de migrants.  

A la chute de l'URSS, les pronostics des spécialistes et des journalistes annonçaient l'arrivée massive des " immigrés de la faim " (2). Même si ces pronostics se sont révélés exagérés, quelques milliers de personnes ont pris la route pour la France et la Grande-Bretagne (3). Grâce à cette vague d'immigration, le réseau associatif russophone prend un nouvel élan en France et se développe en Grande-Bretagne. L'existence des anciens réseaux associatifs n'était cependant pas décisive pour les migrants postsoviétiques : la fracture politico-historique " impérial/soviétique " au sein de la diaspora s'est révélée trop importante pour que les nouveaux arrivants s'intègrent dans la " diaspora impériale ". Les migrants postsoviétiques construisent néanmoins leurs propres réseaux, langue et culture sont les meilleurs vecteurs associatifs.  

L'immigration russophone en Grande-Bretagne est inédite mais un secteur associatif s'est rapidement formé. Les manifestations culturelles russophones recherchent une visibilité à l'échelle de la capitale britannique, notamment par les festivals " russes " comme l'Hiver russe, ou le Mardi gras russe se déroulant sur la place centrale de Trafalgar Square, fruit du travail collectif de plusieurs associations et du soutien financier des Etats d'accueil et d'origine.  

Quel rôle les Etats d'origine des migrants jouent-t-ils dans les activités de ces communautés russophones ? Les relations avec ces dernières ont été reconsidérées par l'Etat russe après la chute de l'URSS. Pour reprendre les paroles du représentant du Ministère des affaires étrangères de Russie, " la diaspora russe de 35 millions de personnes, qui représente aujourd'hui la deuxième diaspora dans le monde après la diaspora chinoise " (4), se structure au début par la présence russe dans les ex républiques soviétiques, qui sont appelées par la Russie l'" étranger proche " (5).  

Les associations russophones sont des interlocutrices privilégiées dans le travail avec les communautés. La politique envers les communautés russophones de l' " étranger proche " s'étend sur l' " étranger lointain ", ce que les chercheurs comme Rogers Brubaker appellent external homeland nationalism (6). Il s'agit de consolider la diaspora, en créant des Conseils de coordination des compatriotes russes. Ces structures associatives représentent l'ensemble des associations et servent de relais entre l'Etat russe et les communautés.  

Cette initiative politique est diversement accueillie par les communautés d'un pays à l'autre. Il est par exemple mitigé en France. Il faut cependant noter que les Forums russes, initiés par ces Conseils en France et en Grande-Bretagne, rassemblent un nombre important de représentants associatifs, en accord ou en désaccord avec cette politique. Ils sont désormais " obligés " de négocier avec ce nouvel acteur qu'est l'Etat russe pour, entre autres, préserver l'autonomie de la diaspora.  

1. Robin Cohen, Diasporas: changing meanings and limits of the concept , in W. Berthomière and C. Chivallon (dir) Les diasporas dans le monde contemporain, Paris, Karthala et Maison des Sciences de l'Homme, Bordeaux, Pessac, 2006.
2. Anne de Tinguy, La grande migration : la Russie et les Russes depuis l'ouverture du rideau de fer, Paris, Plon, 2004.
3. En 2006, environ 75 000 émigrés de l'espace postsoviétique résident en France dont 34 000 viennent de Russie et 11 000 d'Ukraine d'après les statistiques officielles du Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et l'INSEE. Les statistiques de l'OIM donnent le chiffre de 300 000 russophones pour la Grande-Bretagne en 2007. Selon les statistiques non-officielles, 200 000 russophones résident en France et plus de 600 000 en Grande-Bretagne.
4. Discours d'Alexandre Tchépourine lors du Forum russe à Paris en septembre 2011
5. Ce nom d' "étranger proche" a été donné aux ex -républiques soviétiques par l'Etat russe. L' "étranger lointain" est le reste du monde. L'expression "étranger proche " reste fortement politisée et est perçue par certains des Nouveaux Etats Indépendants comme une nouvelle forme d'impérialisme russe. Nous l'utilisons pour souligner le caractère ambigu et contesté de la politique de l'Etat russe envers les communautés russophones.
6. Voir Myths and Misconceptions in the Study of Nationalism , in J. Hall (dir) The state of the Nation : Ernest Gellner and the Theory of Nationalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.



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