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Numéro 24 - rive féministe - juin 2013

maudy Piot, présidente de l'association Femmes pour le dire, femmes pour agir

Vérité du handicap

Parler de vérité, de handicap, quel sens cela a-t-il ? Quelle image a-t-on de la vérité du handicap ? Quand on m’a proposé d’aborder ce thème, immédiatement j’ai pensé : « Que de choses à dire ! ». Etant devenue aveugle, après un long voyage de « perdant la vue » (2), ces mots vérité et handicap ont résonné comme un inattendu connu ! La vérité du handicapé est d’être hors norme, regardé comme un exclu, rejeté, stérilisé, défiguré. Il n’est plus considéré comme un être humain mais comme « le handicapé », l’être fragile et vulnérable qui encombre la société.

Se pressaient dans ma tête les mots handicap, handicapé, et leur cohorte de représentations : monstruosité, incapacité, vulnérabilité, laideur, débilité, folie, contagion… En miroir : compassion, souffrance, misère, pauvreté. « Que faire pour ces pauvres handicapés qui ne sont même pas des personnes à part entière ? »

La vérité du handicap est la traversée du ridicule, des mots incroyables entendus, des prisons dans lesquelles on nous enferme. Pourquoi le handicap fait-il si peur ? Est-il si angoissant ? Sa vérité est insaisissable, sans doute. Pourtant, c’est une magnifique aventure de vie, déconcertante, riche, pleine d’obstacles à franchir, d’idées nouvelles à mettre en pratique, une insolence face à la banalité du quotidien, face aux normes établies dans le ciment de la certitude. Le handicap dérange l’Autre, ébranle les normes, bouscule les habitudes. Qui es-tu toi, le différent, pour m’interpeller de la sorte ?

La personne handicapée est obligée sans cesse de surmonter les difficultés quotidiennes pour vivre sa citoyenneté partout et à tout moment. Construire une cité accessible, ouverte à toutes et à tous est un combat. Confrontée à l’état pluriel des obstacles, notre différence est une lutte contre toute forme de ghettoïsation.

L’accessibilité réelle, pas un faire-semblant, est une lutte farouche, nous souhaitons une vraie ouverture sur le monde. Que les personnes handicapées puissent bénéficier de soins médicaux, que les femmes handicapées aient accès à des maternités accessibles, qu’elles soient accueillies dans des cabinets médicaux de gynécologie etc…

La vérité du handicap, c’est la Citoyenneté et un changement de regard. Nous refusons l’exclusion, la mise au placard. La vérité du handicap c’est la rencontre et non la méfiance ou le doute sur les capacités de la personne handicapée. Nous sommes des citoyennes à part entière, le handicap n’est pas une identité, il est dû au hasard de la vie. Il est une énigme pour chacun d’entre nous, c’est la bourrasque pénétrant au fond de l’humain, qui renvoie au doute, à l’inconnu, à la peur de la mort. Il n’y a qu’une seule vérité, celle de l’être pensant : « à chacun sa vérité ». Mais toutes les opinions ont-elles vraiment la même valeur, comment peut-on à la fois avoir sa propre vérité et la partager avec tout un chacun ?

Chacun est un être singulier, radicalement différent des autres, qui aspire à détenir « sa » propre conception du vrai. Mais qu’est-ce que la vérité de la différence ? On pourrait dire : « Tu es toi, je suis moi ». Toi avec ta personnalité, tes différences invisibles peut-être, et moi, je suis celui qui par ma singularité visible t’interpelle dans ta conformité aux normes sociales et intellectuelles. Je suis moi, tu es toi et nos deux vérités, nos deux identités permettent la richesse de la pluralité, de la diversité. Nous sommes des citoyens qui, par la richesse de nos différences, participons à la pluralité de l’humanité.

(1)    Femmes pour le dire, Femmes pour agir www.femmespourledire.asso.fr
(2)    Maudy Piot, Mes yeux s'en sont allés - variations sur le thème des « perdant la vue », Paris, L’Harmattan, 2004



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