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Numéro 26 - rive psychoanalytique - juin 2014

Diomar Gonzalez Serrano, psychologue, Master en Psychanalyse (Université de Paris 8), secrétaire générale adjointe de l'iriv

La réconciliation: une sortie de conflit ?

La réconciliation est un concept biface, tourné vers le présent et le futur, qui se présente comme une solution, une alternative, un espoir, confrontés à des idées, à des intérêts antérieurs. Le fait d’en parler c’est aussi parler des origines d’un conflit. Dans cette rive, nous réfléchirons d’abord au concept de conflit et à ses aspects inhérents, puis, nous montrerons quels sont les apports de la psychanalyse pour saisir les liens étroits entre la réconciliation et le conflit. 

On peut envisager le conflit soit en fonction du nombre de personnes impliquées soit en fonction du niveau émotionnel. Dans le premier cas, on doit distinguer plan individuel et collectif. Individuellement, une même personne est confrontée à un choix difficile entre deux options opposées. Collectivement, il faut considérer d’abord les points de vue contraires des relations interpersonnelles au sein d’une famille, d’un couple, de voisins, de collègues, etc. Puis, il faut s’intéresser aux conflits qui prennent de l’envergure, comme ceux mettant aux prises des groupes, des générations, des classes sociales, des peuples, des nations, etc. Dans un second cas, l’on peut étudier le conflit par rapport à l’intensité émotionnelle, l’analyse portera alors sur différents sentiments comme la tolérance, la méfiance, la rivalité, la haine, la rage, l’intolérance, l’indifférence, mais aussi l’angoisse.

Le traitement du conflit peut être fait de différentes manières. Pour en sortir, trois grandes voies sont envisageables. La première se fonde sur la négociation par la discussion, le débat, les accords, l’arrangement direct ou la législation, et, bien sûr, la réconciliation. La deuxième est la voie de l’agressivité consistant à réagir par la dispute, l’insulte, les reproches. La troisième voie est celle de la violence proprement dite, passant par l’intolérance, la vengeance, la maltraitance physique ou morale, et qui dans les cas plus graves, il peut aller jusqu’à la soumission, la conquête, la cruauté, le bannissement (répudiation, ségrégation…), la guerre.

Freud, danssa théorie des pulsions de vie et de mort, montre que ces énergies sont inhérentes à l’être humain. Forces en opposition d’où dérivent des sentiments comme : l’amour/ haine ; création / destruction, fraternité/rivalité,  convivialité / violence, etc. Ces pulsions sont régulées par le complexe de castration (1) selon lequel on doit affronter et accepter ses propres manques. Même si Freud considère que l’être humain, par ses deux pulsions, arrive à se cultiver et à s’organiser socialement, il met en garde contre toute ambition de pouvoir ou débordement disproportionnés au nom d’intérêts particuliers, d’idéaux justifiés ou non. C’est ainsi qu’il explique la désillusion (2) sentiment ressenti quand, en plein XXème siècle, il voit que l’homme choisit encore la violence pour résoudre des situations de conflit, ou toutes sortes de problèmes.

Selon Lacan, « la fraternité » est un des idéaux laïques de la modernité (3), qui favorise  le lien par l’identification des égaux, mais qui est aussi porteuse de ségrégation –à cause de ce qui est différent ou étranger à son monde. On sait combien l’exclusion du différent a amené l’être humain à souffrir de véritables catastrophes, au nom du supposé « bien-être » imposé à tous par une partie de la population.

Freud et Lacan proposent précisément une sortie éthique, face à ce côté sombre de l’être humain et aux conséquences des emblèmes de la « civilisation ». Sortie qui invite à l’acceptation de ses propres passions, ce qui crée à une incomplétude apte à laisser entrer la diversité.

Les caractéristiques du conflit -manières d’agir, intensité respective des différences- ne sont pas données par rapport à la situation conflictuelle en elle-même (4). En revanche, la gravité du conflit est directement proportionnelle au positionnement de chaque partie en fonction de ce qui lui manque, et à la façon de se positionner selon sa différence.

C’est pourquoi la réconciliation est importante, car elle est une invitation à se concilier en fonction de ses propres limites et de ses propres manques. La réconciliation repose sur un espoir de convivialité, qui fait la part belle à la reconnaissance et au respect de l’existence d’autres manières d’être. Enfin, elle est une provocation qui invite à se repenser soi-même avec ses propres passions et au-delà de son être !

 
(1)   « Le complexe de castration est en étroite relation avec le complexe d'Œdipe et plus spécialement avec la fonction interdictrice et normative de celui-ci -La prohibition du l’inceste-». LAPLANCHE J. et PONTALIS J.B., Vocabulaire de la psychanalyse,  Paris, PUF, 1967, p. 75
(2)  FREUD S., « La désillusion causée par la guerre » 1915 in  in Œuvres complètes. Psychanalyse, livre XIII, Paris, PUF, 2005
(3) « Je ne connais pas qu’une origine de la fraternité –je parle humaine, toujours l’humus-, c’est la ségrégation. (…) Simplement, dans la société (…) tout ce qui existe est fondé sur la ségrégation, et, en premier temps, la fraternité. Aucune autre fraternité ne se conçoit même, n’a le moindre fondement, comme je viens de vous dire, le moindre fondement scientifique, si ce n’est que parce qu’on est isolé ensemble, isolé du reste». LACAN J., Séminaire (1969-1970), Livre XVII., Paris, Editions du Seuil, 1991, p.132.
(4) «… La psychanalyse considère le conflit comme constitutif de l’être humain, et ceci dans diverses perspectives : conflit entre le désir et la défense, conflit entre les différents systèmes ou instances, conflit entre les pulsions, conflit œdipien enfin où non seulement se confrontent des désirs contraires, mais où ceux-ci s’affrontent à l’interdit ». LAPLANCHE J. et PONTALIS J.B., « Vocabulaire de la psychanalyse », op.cit., p.90.

 

 



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