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Numéro 30 - rive académique - juin 2016

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Une heureuse surprise ?

Au Moyen Age, la surprise  était un impôt extraordinaire ou alors une tromperie, dans le domaine judiciaire. Surprendre était considérée comme une action inhabituelle, négative, voire répréhensible. Au cours de son évolution sémantique, la surprise perd cette connotation péjorative (1). Ainsi, la locution à la grande surprise de quelqu’un peut être comprise positivement ou négativement. Puis, la surprise devient une chose agréable que l’on offre à quelqu’un qui ne s’y attend pas. Dans la surprise-partie, le fait de s’inviter à l’improviste chez une connaissance, en apportant le repas, est présenté comme un cadeau (2).

Morphologiquement, surpris(e) est le participe passé de surprendre, lui-même dérivé de prendre (3). La famille lexicale est très riche. Elle intègre des termes de capture : prédateur, proie, prison. Elle présente des mots du domaine intellectuel -comprendre, apprendre, apprenti ou sentimental -s’éprendre, épris. Un nom, emprise, échappe aux catégorisations car il s’applique aux champs intellectuel et amoureux. On saisit mieux, grâce à ce substantif, les racines sémantiques du mot : la volonté de contrôle, de puissance exercée par la force physique ou la force de l’esprit. Ce jeu de dominant/dominé est également à l’œuvre dans le domaine juridique.

Pour les tribunaux, la surprise est une faute intentionnelle. Rappelons que la faute se définit comme le « comportement d’une personne en contradiction avec une règle de conduite » (4). En effet, l’auteur tend à rendre sa victime vulnérable en la prenant intentionnellement au dépourvu. Le dol, la mauvaise foi, l’escroquerie, l’abus, le mensonge procèdent de la volonté de tromper quelqu’un au profit de son auteur. Tout repose sur la confiance, ou l’absence de méfiance, de la victime. La transgression peut s’opérer sans que le malfaiteur n’ait ainsi à faire usage de la force, ce qui culpabilise d’autant plus la personne bernée (5).

Au théâtre, la surprise est indispensable à l’action dramatique, surtout dans les comédies. C’est le coup de théâtre qui dénoue l’intrigue de manière inattendue. Dans l’Ecole de femmes de Molière, Agnès découvre qu’elle n’est pas orpheline mais la fille d’un riche seigneur. Son mariage avec Horace se réalisera et rendra caduc celui envisagé par le vieil Arnolphe. C’est le quiproquo, fondé sur l’incompréhension entre personnages. On pense à la scène d’anthologie de l’Avare où Harpagon évoque son bien le plus précieux -sa cassette- quand Valère lui parle de sa fille. Enfin, c’est la scène du témoin caché dans laquelle quelqu’un surprend une conversation qu’il n’aurait pas dû entendre. La pièce de Musset, On ne badine pas avec l’amour, multiplie ce procédé à l’envi (6).

Marivaux est un dramaturge dont les pièces fourmillent de surprises. Elles sont les éléments d’une machinerie implacable révélant la complexité du sentiment amoureux. Dans la Surprise de l’amour (7),Lélio et la comtesse tentent de repousser leur coup de foudre réciproque. Le dénouement sera l’aveu de cette inclination irrésistible. Marivaux, si subtil à disséquer les arcanes du véritable amour, s’amuse à brouiller les identités et les classes sociales de ses personnages. Les contingences et les hasards permettent de rapprocher les personnages qui s’éloignent. Dans le Jeu de l’amour et du hasard, maîtres et valets échangent leur rôle, mais chacun retrouve sa chacune ce qui ne remet pas en cause les différences sociales. Dans Une joie imprévue, la passion des jeunes premiers est éprouvée par leurs parents et leurs valets. Les jeux d’amour sont compliqués par des jeux d’argent, le fils ayant perdu une partie de sa fortune en jouant inconsidérément (8).

La surprise fait naître plusieurs sentiments. La joie, la reconnaissance, l’éblouissement peuvent illuminer l’existence. Inversement, la peur, l’effroi, la consternation font vivre des moments de repliement sur soi, dans ce monde extérieur considéré comme hostile. Tout changement brusque dans le cours tranquille d’une vie sera être vécu comme un choc insurmontable. Mais, à plus long terme, un bouleversement pourra se percevoir différemment. Rappelons la fable de l’oisillon, de la vache et du coyote contée dans Mon nom est personne (9). Une vache est alertée par les appels d’un oisillon, tout seul sur une plage. Elle le réchauffe en le couvrant de bouse. Mais les cris du volatile redoublent, un vieux coyote l’extrait alors délicatement, le nettoie …et le croque. La morale joue sur la mauvaise interprétation de l’oisillon : celui qui le tue est le coyote qui lui paraissait sympathique !

 (1) Les emplois datent de la fin du XVIII  et du XIXème siècle.
(2) L’idée de venir à l’improviste disparaît lors de l’Occupation qui voit ce type de manifestation mondaine disparaître. Le mot devient alors synonyme de fête dansante.
(3) Le verbe est hérité du latin prahendere signifiant « saisir » qui a détrôné capere, moins énergique
(4)La faute réunit un fait (élément matériel), une norme (élément légal) et une appréciation subjective (élément moral) de la transgression. Voir l’article « faute » de Christophe Radé in Dictionnaire de la culture juridique, Quadrige-PUF-Lamy, 2003 p.706-711.
(5) La surprise concerne l’article 1255 du code civil (dette où le créancier a piégé le débiteur par dol ou surprise) et l’article 22-22 du code pénal  (agression sexuelle commise avec violence, menace ou surprise)
(6) Quelques-unes sont très comiques et concernent des personnages secondaires, les deux prêtres se disputant une bonne place auprès du baron, père de Perdican et oncle de Camille. Les autres jouent sur la présence invisible ou non des jeunes premiers et de Rosette, sœur de lait de Camille. Le badinage avec l’amour sera  tragique à la fin de la pièce.
(7) La pièce eut un tel succès que Marivaux écrivit, cinq ans plus tard, une Seconde surprise de l’amour. L’oeuvre ne fut pas reconnue par le public du XVIIIème siècle mais est très appréciée par celui du XXème siècle.
(8) L’intrigue est compliquée par les dettes de jeu du fils. Jeu amoureux et jeu d’argent sont habilement mêlés dans l’histoire.
(9)  Sergio Léone cosigna ce western spaghetti de Tonino Valerii. L’apologue est raconté par Térence Hill, héros éponyme du film



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