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Numéro 31 - rive psychanalytique - décembre 2016

Diomar Gonzalez Serrano, psychologue, Master en Psychanalyse (Université de Paris 8), secrétaire générale adjointe de l'iriv

Prix Nobel de la paix 2016 : quelles sont les alliances en Colombie pour mettre fin au conflit armé ?

Le conflit armé qui déchire depuis 52 ans la Colombie semble être entré dans une phase de transition. Des alliances se sont construites entre plusieurs acteurs pour envisager une sortie politique au conflit. Mais la Colombie peut-elle y arriver ? Le prix Nobel de la paix – reçu par le président colombien  le 7 octobre dernier (1) peut-il aider à trouver une sortie pacifique au conflit? Ces questions nous aideront à réfléchir sur la situation actuelle de la Colombie.

Quand on s’interroge sur les raisons de la longueur de ce conflit armé, il est important de replacer l`objet de la dispute dans son environnement. La beauté et la richesse des terres colombiennes expliquent beaucoup de choses. Les côtes sont baignées par deux mers avec de belles plages. La géographie montagneuse permet de profiter d'une flore variée et d’une production agricole riche (café, cacao, caoutchouc, fruits, etc.). La réserve hydrique est importante. Les ressources minérales (pétrole, émeraudes, charbon, sel, or, etc.) sont innombrables.

Les antécédents historiques et l’origine des acteurs en conflit sont une autre explication. L`appropriation des richesses est le fil rouge de l'histoire de la violence en Colombie. Les convoitises ont suscité des luttes mortelles, et a provoqué le malheur du pays jusqu’aujourd`hui. Les différends et les accords successifs entre les deux partis politiques traditionnels en Colombie - les conservateurs (en bleu) et les libéraux (en rouge)- s’expliquent par la distribution du pouvoir politique, mais aussi par celle de la richesse colombienne. Les partis ont mené le pays aux guerres civiles qui ont agité la Colombie aux XIXème et XXème siècles.

La dernière confrontation - la violence en Colombie (1946-1958)- a conduit à une guerre à mort entre les deux couleurs politiques. Une conséquence a été l`émergence des mouvements de guérilla de gauche, en réaction aux intérêts particuliers, politiques et économiques, des deux partis traditionnels. Parmi ces guérillas, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont été créées en 1964 pour exiger une réforme agraire qui redistribuât la terre aux minorités, avec d’autres revendications de justice sociale. Les FARC ont négocié avec les gouvernements successifs des accords politiques et sociaux pour sortir du conflit armé. Mais les propositions et intérêts des acteurs en présence n`ont pas permis une véritable alliance pour une issue pacifique au conflit.

Une des raisons de l’impasse est l’émergence de nouveaux acteurs qui ont détérioré toute possibilité de dialogue et ont mené la Colombie à un véritable chaos – en particulier dans les années 80 où les narcotrafiquants et la guerre entre les cartels ont provoqué de nombreuses actions meurtrières. Dans les années 90, le fléau paramilitaire - qui s’est illégitimement autoproclamé soutien militaire de l'Etat- a imposé la terreur au nom de l'ordre public. Malgré l’intervention de la justice, ils n´ont pas réellement disparu. Ils se sont transformés en des forces obscures qui frappent la société civile par des menaces et des harcèlements tout en s`autoproclamant défenseurs de la justice. 

Avec l`actuel gouvernement colombien, la guérilla s’est alliée avec des intermédiaires nationaux et internationaux pour envisager la possibilité d’une issue politique au conflit armé. Le grand défi pour les colombiens est de trouver une alliance sociale et culturelle qui permette une vie commune, qui aide au renforcement des liens, et permette de défendre les intérêts de la majorité.

La coexistence pacifique exige de ne plus défendre des intérêts particuliers pour s’accaparer la richesse et son appétence destructrice en plus de lâcher les armes. Au-delà des FARC les autres acteurs parties prenantes au conflit n’ont pas renoncé à leurs intérêts égoïstes et résistent au nom d’arguments injustifiables. Pour mettre fin à la violence dans laquelle la Colombie se trouve toujours plongée, il faut donc s’interroger sur les opportunités de paix réelles avec des acteurs qui n’ont toujours pas renoncé à un pouvoir destructeur.

Le prix Nobel de la Paix pourrait ainsi sceller une nouvelle alliance entre les acteurs en présence en 2016- gouvernement, guérilla, victimes du conflit, population civile - contre les forces obscures dérivées des narcotrafiquants et mouvements paramilitaires dont les intérêts sont souvent mêlés. L’avenir de la paix en Colombie est à ce prix.

Dans leur livre écrit en commun « Pourquoi la Guerre » (2), Sigmund Freud et Albert Einstein écrivent que « Tout ce qui favorise le développement de la culture du travail joue contre la guerre » (2). Tous ceux qui travaillent pour la cohésion sociale en Colombie contribuent au processus de paix.

(1)Delcas, Mary. "En Colombie, le prix Nobel au secours de l`accord de paix" (2016). Le Monde. Disponible en: http://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2016/10/08/en-colombie-le-prix-nobel-au-secours-de-l-accord-de-paix_5010389_1772031.html (consulté le 8 Octobre, 2016)
(2) Einstein, Albert & Freud, Sigmund. ¿Por qué la guerra? (1933). En Obras completas. Vol. XXII. Buenos Aires: Amorrortu, 1979. Pág. 198. Version française: Albert Einstein/Sigmund Freud. Pourquoi la guerre ? traduit de l'allemand par Blaise Briod. Éditions de L'Herne, Paris, 2011.



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