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Numéro 1 - rive académique - septembre 2004

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Saint Renaud, une leçon de bénévolat

Le premier numéro des rives de l'iriv célèbre saint Renaud, héros d'une épopée du XIIIème siècle (1). Quelle est l'histoire de ce personnage légendaire, chassé de France par Charlemagne, forjuré par son père (2), pèlerin à Jérusalem, qui meurt en martyr à Cologne ?  

Banni pour le meurtre du neveu de Charlemagne, Renaud obtient le pardon impérial en faisant un pèlerinage à Jérusalem. Il décide alors de mener une vie d'ascète jusqu'au jour où il entend qu'on construit une cathédrale à Cologne. Pour un denier symbolique par jour, il se fait simple porteur de pierres. Les ouvriers, inquiets de cet engament radical et désintéressé, profitent d'un instant de prière de leur " concurrent " pour le lapider et le jeter dans le Rhin. Mais son corps surnage, entouré d'une lumière surnaturelle et d'un banc de poissons : l'évêque fait repêcher la sainte dépouille pour l'enterrer à Cologne. Un dernier miracle dirige le convoi funèbre vers Trémoigne (actuelle Dortmund) qui accueille les reliques, désormais objets de dévotion pour tous les pèlerins.  

Renaud, héros épique et saint martyr, nous invite à réfléchir sur le bénévolat/volontariat. Tout d'abord, il peut aider à comprendre l'origine sémantique des termes bénévole et volontaire (3). Renaud a mené de nombreux combats contre les païens en Gascogne et à Jérusalem avant de venir à Cologne. Quand il s'engage sur le chantier, il est volontaire au sens militaire du mot (attesté dès le XVIIIème siècle) et au sens moderne. Mais le chevalier a déposé les armes, la dimension religieuse remplace la dimension guerrière. C'est un acte bénévole au sens que le droit ecclésiastique a imprimé à ce terme avant de lui donner sa signification moderne.  

La concurrence entre bénévoles et salariés est centrale dans l'épopée(4). Recevoir une rémunération minimale est-il une menace pour le monde du travail ? L'épopée radicalise la situation : Renaud s'impose dans un chantier en travaillant comme un forçat pour un denier symbolique. Sa candidature spontanée ravit le chef de chantier mais son dévouement est senti comme dangereux par les autres ouvriers. Pourquoi Renaud leur fait-il peur ? Il met en évidence le fait que bâtir une cathédrale n'est pas un travail comme un autre c'est participer à une œuvre collective, de longue haleine et destinée à durer. L'enthousiasme de " l'ouvrier de Dieu " est un témoignage de sa foi qui invite à réfléchir sur le sens de l'engagement. Le bénévole/volontaire ne peut exercer n'importe quelle activité et s'impliquer avec la même ferveur si son action ne lui tient pas à cœur. Le bénévolat/volontariat ne menace pas l'emploi : la société ne pourrait rétribuer toutes les activités sportives, culturelles et humanitaires sans cet engagement désintéressé.  

La reconnaissance, thème crucial de l'épopée, est aussi au cœur du bénévolat. Renaud trouve la mort parce qu'il s'est fait haïr des ouvriers, sa sanctification permet de le " réintégrer " dans la société. Il est reconnu comme saint par l'évêque de Cologne et le voyage merveilleux vers Trémoigne crée un nouveau lieu de culte. Ainsi, dès que Renaud disparaît, le clergé se rend compte de l'importance de son dévouement et les pèlerins vont vénérer ses saintes reliques : n'était-il pas trop tard ? C'est souvent un triste constat : si le bénévolat est décrié, les volontaires mal reconnus, dès qu'ils n'oeuvrent plus, la société regrette leur engagement et réalise bien tard qu'ils n'étaient pas une menace mais une aide salutaire.  

(1) Renaut de Montauban a été édité en ancien français par Jacques Thomas (Genève, Droz, 1989). Une traduction écourtée est disponible en livre de poche (Les Quatre Fils Aymon ou Renaut de Montauban, M. Combarieu du Grès et J. Subrénat, Paris, Folio, 1983). Ma thèse de doctorat est consacrée à cette épopée (Renaut de Montauban, épopée d'un exclu, Lille Septentrion, 2002)

(2) Le forjurement est un double serment promissoire. Les membres du lignage jurent de renier leur parent criminel pour éviter la vengeance de clan à clan. Dans l'épopée, le père Aymon forjure ses quatre enfants (les trois autres fils se considèrent comme solidaires du crime de Renaud). L'autre serment concerne le meurtrier qui reconnaît sa culpabilité et jure devant tous de ne plus jamais revenir dans la terre de son crime. Dans l'épopée, Renaud obtient une peine substitutive du bannissement, le pèlerinage expiatoire à Jérusalem.   (3) Voir Bénévolat et Volontariat en France et dans le monde, B. Halba, Paris, les Etudes de la Documentation française, p.13-14.   (4) Voir Bénévolat/Volontariat et emploi : concurrence ou complémentarité, Publication de l'IRIV, Paris,1999.



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