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Numéro 34 - rive d'Italie - mai 2018

dr Giovanna Campani, professeure d'Antrhopologie à l'Université de Florence (Italie)

Chiara d'Assisi-sainte de la pauvreté et patronne de la télévision italienne

"What's in a name? That which we call a rose by any other name would smell as sweet.So Romeo would, were he not Romeo call'd”(1). Dans la tragédie de Shakespeare, Juliette dit que les noms des choses n’affectent pas ce qu’elles sont vraiment, ce qui représente une promesse de liberté : l’affranchissement de toutes les contraintes liées à l’origine –  famille, caste, classe- qui est marquée par le nom.  A l’aube de la modernité, ces mots inspirent un principe d’identité individuelle en dehors des positions figées.

What’s in a name ? -  s’oppose ainsi a l’expression latine,  Nomen omen  (au pluriel, nomina sunt omina) qui, traduite littéralement, signifie «le nom est un présage», «un nom un destin», «destin dans le nom», selon la croyance des Romains.

Toutefois, entre les Romains et Shapkespeare, il y a l’importance de la parole dans la formation identitaire, que Carl Gustav Jung a ainsi exprimée, dans le  «Livre rouge » (2) : "Vous savez, le nom que vous portez signifie  beaucoup. Vous savez aussi que les malades reçoivent souvent un nouveau nom pour les guérir, car avec le nouveau nom, ils reçoivent aussi une nouvelle essence. Ton nom est ton essence."  Selon une école de pensée psychologiqueles prénoms donnés à la naissance, et qui  parfois nous inscrivent dans une constellation familiale (le même prénom du grand-père ou de la grand-mère, de l’oncle, de la tante) sont importants pour la formation de l’identité, les comportements et, finalement, le destin.

Nomen omen...ainsi fut dans la vie Chiara Offreducci, née à Assise en 1193, morte en 1253, canonisée Sainte deux ans après sa mort. Dans le processus de canonisation qui eut lieu en novembre 1253 (3), les religieuses et les gens d’Assise qui avaient connu Chiara, firent de nombreuses allusions aux différentes significations de son prénom : lumière, clarté, absence de taches- toutes qualités que la Sainte possédait ... Une certains nonne Philippa raconta aussi que la mère de la Sainte, Ortolana, au cours de la première grossesse, craignant les dangers de l'accouchement, pria devant le crucifix et reçut un message céleste annonçant la naissance d’une lumière qui éclairerait le monde. Pour cette raison, elle donna le nom de Chiara à l’enfant.

Quelle que fut la lumière, quelle que fut la clarté que Chiara d’Assise apporta au monde, elle eut un destin contraire à celui que sa famille avait prévu pour elle. Le prénom Chiara l’affranchit du nom Offreducci qui la liait à une caste. De famille noble et riche, elle était destinée à un mariage important. Mais elle décida, à dix-huit ans, de suivre le parcours de François d’Assise dans son idéal de pauvreté, socle de l'évangile. Elle apporta le message d’un paupérisme extrême, comme discipline absolue et liberté absolue de toute contingence matérielle, et elle l’apporta aux femmes.

En s'enfuyant de chez elle pour rejoindre Françoiselle fit un geste courageux pour une femme de l’époque de rupture avec sa classe sociale. François, en coupant les cheveux de Chiara et en lui donnant un habit franciscain, réussir à traduire son idéal de pauvreté chez une fille de la noblesse d'Assise, en  démontrant de manière retentissante la validité de sa parole et de ses choix. Chiara, toutefois, ne se limita pas à suivre les pas de François, elle développa, de manière autonome, l’idéal franciscain chez les femmes, en fondant l'Ordre des « pauvres recluses » (les Clarisses).

Nommée abbesse de San Damiano, elle initia la règle de l’ordre, la première à être écrite par une femme pour d'autres femmes. La règle se fonde, certes, sur le «privilège de la pauvreté », mais elle exprime aussi un fort esprit communautaire  entre les sœurs, unies dans la première personne du pluriel, « nous », qui se répète continuellement dans le texte. 

Chiara, malgré le fait d’avoir passé la plupart de son temps au lit, en raison d’une santé minée par la privation continue, a pu se battre pour la vie et les idéaux dans lesquels elle croyait. Chiara n’aurait peut-être pas partagé l’idée de Pie XII de la nommer le 17 février 1958, « patronne » de la télévision et des télécommunications, qui  symbolisaient à l’époque l’entrée de l’Italie dans la société de consommation, contraire à l’esprit de la sainte . (4).

 (1)  “qu'est-ce qu'un nom? Ce que nous appelons rose par n'importe quel autre nom sentirait aussi bon »  Juliette, acte 2, scène 2, in Shakespeare (William) «  Roméo et Juliette », Œuvres complètes, nouvelle édition, bilingue, sous la dir. de J.-M. Déprats, avec G. Venet, tome I et II, Tragédies I et II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2002
(2) Jung (Carl-Gustav) – Libro Rosso, p.282, édition française: « Livre rouge », Editions Les Arènes, Paris, 2012, 650 p.
(3)  BOCCALI G., Santa Chiara d’Assisi sotto processo. Lettura storico-teologica degli atti di canonizzazione, Ed. Porziuncola, Santa Maria degli Angeli – Assise (PG) 2003
(4) La justification de ce choix fut une légende selon laquelle Chiara serait apparue à une messe de Noël, alors qu’elle était souffrante dans sa cellule... http://www.famigliacristiana.it/articolo/santa-chiara-la-nobile-che-imito-francesco-abbracciando-la-poverta.aspx

 



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