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Numéro 7 - rive d'Autriche - mai 2006

dr Christoph Reinprecht, professeur à l’Université de Vienne (Autriche)

La solidarité des semblables

Le discours sur la migration se réfère à deux conceptions. La première réfléchit sur l'expérience de l'altérité et de l'étrangeté de l'immigré. Georg Simmel, philosophe et sociologue allemand, décrit l'immigré comme quelqu'un qui vient aujourd'hui et demain restera. Cet individu se trouve dans un état précaire, caractérisé par une instabilité existentielle et un gain de liberté, toujours vulnérable. Une seconde approche considère l'immigration comme le processus de formation d'une communauté. Le fait de migrer n'implique pas que l'individu se détache de ses traditions et liens d'origine : il les emporte dans ses bagages, ses racines continuent d'exister et créent un nouvel imaginaire. La construction d'une communauté ethnique serait donc conditionnée par l'intégration sociale.   


L'immigration aime les sentiers battus. Les immigrés suivent le chemin, connaissent les difficultés et parlent la langue de leurs prédécesseurs : cela leur procure un sentiment de sécurité et les aide à s'orienter dans leur nouvel environnement. Les structures économiques et politiques favorisent encore ce processus. Les marchés du logement et du travail ne sont pas ouverts à tous. Les contacts avec la population autochtone sont restreints à cause de la méfiance et par ségrégation sociale. L'association sélective des immigrés est fondée sur " la solidarité des semblables ", ceux de la même famille, de la même origine ou de la même affiliation ethnique.   

La solidarité affective lie également les immigrés : elle permet de maîtriser la vie quotidienne et favorise différentes formes de bénévolat. D'après une enquête conduite par l'Institut de Sociologie de l'Université de Vienne auprès d'immigrés (50 ans et plus) le bénévolat de voisinage prédomine. Cet engagement régulier touche un tiers des immigrés, alors que dans des structures plus formelles il n'est que de 7% . La participation baisse donc quand le degré d'organisation et de formalisation des activités augmente. Cela diffère aussi selon le groupe ethnique. Ainsi les immigrés de l'ex-Yougoslavie sont moins présents dans les structures formelles que les immigrés de Turquie, souvent organisés dans des associations. Seule une petite minorité d'immigrés a accès aux organismes du pays d'arrivée.   

Quelles sont les motivations des immigrés ? D'après les résultats de l'enquête autrichienne, ceux qui s'engagent dans des activités de bénévolat ont principalement le désir de contacts sociaux. D'autres sont motivés par le sens du devoir et le besoin de faire quelque chose pour les siens. En effet certaines représentations traditionnelles de la communauté et des obligations confèrent un rôle à l'individu. Les plus vieux espèrent aide et soutien des plus jeunes. Inversement les plus jeunes attendent conseil et soutien des plus vieux. Une conception rigide des rôles sociaux détermine les rapports entre sexes. L'individu est conçu comme membre d'une famille dont il doit respecter les règles.   

Les fonctions honorifiques liées à l'engagement (dans l'Eglise, les syndicats et les diverses associations où certaines valeurs traditionnelles prédominent) correspondent, dans un certain sens, à la perception que les immigrés ont du bénévolat. Ainsi, le bénévolat des immigrés constituerait une sorte de contrepoint à une vision trop moderniste et individualiste de l'engagement. En même temps, les traditions et les rôles sociaux perdent de plus en plus de leur force : le bénévolat des immigrés est soumis à une érosion permanente car les individus aspirent à se libérer du joug familial et communautaire. Des pères au chômage déçoivent les attentes de leurs fils, des filles fuient l'autorité parentale, des femmes refusent de se soumettre aux désirs de leurs maris. Les immigrés, qui essaient de surmonter les traditions et les rôles sociaux fragilisés, se heurtent à des barrières invisibles dans les pays d'accueil où ils sont toujours considérés comme faisant partie d'un collectif traditionnel, fermé et à part.   

Des études internationales montrent que, dans les pays d'accueil, les formes de bénévolat organisé s'ouvrent difficilement aux immigrés (1) et réserve cet engagement à la population autochtone. Des préjugés tenaces rendent difficile la participation des immigrés à des activités interethniques de voisinage. Même à un niveau peu organisé, l'existence de préjugés influence toujours l'accès au bénévolat.   

L'intégration sociale indépendante de la tradition et de l'origine est la base des sociétés modernes. Cette idée a souvent été mal interprétée, comme si cela supposait la rupture brutale des liens existants. Pour les immigrés, les liens communautaires doivent être favorisés pour que les individus se réalisent pleinement. Il est donc nécessaire que le pays d'accueil change d'optique et transforme les structures existantes. L'ouverture active du bénévolat intégrerait tous les membres d'une société de plus en plus complexe. Pour les immigrés, la société étrangère deviendrait plus familière et, pour les autochtones, la distance émotionnelle avec leurs nouveaux compatriotes diminuerait. La pratique du bénévolat pourrait ainsi constituer une nouvelle forme de fraternité.
    
(1) Projet européen Involve initié par le Centre Européen du Volontariat (CEV) dans 7 pays : l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, la France, la Hongrie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (2005-2006).    



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