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Numéro 9 - rive académique - janvier 2007

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Témoin, martyr et Lamartine

Témoin et martyr sont originellement synonymes. Dans le vocabulaire juridique, ces mots désignent "une personne qui certifie ou atteste par ce qu'elle a vu ou entendu". Témoin vient du latin testimonium, dérivé de testis (1) que les lexicographes rapprochent de tristis "troisième intervenant qui peut être le soutien de chacune des parties". Martyr est hérité d'un radical indo-européen signifiant "se souvenir" (2). Les auteurs chrétiens se sont emparés de ce terme et ont spécialisé son emploi, le martyr est "celui qui témoigne de la vérité par son sacrifice" et "celui qui est mort et a souffert de la torture pour attester la vérité de la religion chrétienne".   


Témoignage et martyre appartiennent, à des degrés divers, aux champs juridique et religieux. Etre celui qui osera attester la vérité de son expérience manifeste le courage et la loyauté du témoin, qui peut risquer sa vie pour faire valoir ses convictions. La figure tutélaire du bénévolat, Renaud de Montauban (3), illustrait cette dimension sacrificielle et spirituelle de l'engagement. Un véritable "procès", la canonisation (4), sanctionne les témoins incontestés de cet engagement.   

Alphonse de Lamartine développe dans son ode à Félix Guillemardet (5) une réflexion émouvante sur ces questions morales et religieuses. Le poète témoigne d'une expérience personnelle, la grave maladie d'un ami. Ce bouleversement intime révèle la force d'une compassion qui transcende son égoïsme et son égotisme : " Frère ! le temps n'est plus où j'écoutais mon âme/ Se plaindre et soupirer comme une faible femme "(6). La souffrance du mourant lui permet de dépasser les affres stériles d'autrefois aux vers 55-60 : Alors par la vertu, la pitié m'a fait homme, J'ai conçu la douleur du nom dont on le nomme, J'ai sué sa sueur et j'ai saigné son sang ; Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre Comme vient retentir le moindre son qui vibre Sur un métal retentissant L'altruisme est une "résonance", la métaphore est particulièrement intéressante. Le témoin entend et voit, l'association est une "caisse de résonance" dont le bénévole serait le testis sensoriel.   

Le souffle poétique fait vibrer en Lamartine les douleurs de l'autre. Nouveau Jésus sur le mont Golgotha, le "barde se change en femme de douleurs" et transforme, à la fin de l'ode, sa lyre en "urne de Madeleine" (7). Ces vers laisseront de Félix Guillemardet un souvenir indélébile (8). Le poète est le témoin -"celui qui certifie l'authenticité des faits"- de cette expérience rédemptrice et salvatrice. Le poème est le témoin -"preuve matérielle, indice"- de cette image très forte de l'ami cher. Félix est le martyr immortalisé par le souvenir.   

Dans sa simplicité, l'ode de Lamartine fait retentir en nous des émotions qui permettent de réfléchir à la notion d'altruisme. Cette idée abstraite crée une résonance, grâce aux vers du poète, avec la compassion, le témoin, le martyr. Une autre voix romantique, celle de François-René de Chateaubriand, aurait livré une autre forme de témoignage dans des œuvres au titre évocateur Les Martyrs et Mémoires d'Outre-Tombe.   



(1) La famille étymologique est riche : testimonial, testament, protester, contester, détester et testicules (" les témoins " acception observée au XIIIe siècle). 
(2) Le Robert Historique cite le sanskrit smarati " se souvenir ", le grec merimma " souvenir ", le latin memoria " mémoire ". 
(3) Voir les rives de l'iriv (rive 1) ou notre article " Hagiographie de Renaut de Montauban ", in Reliques et sainteté dans l'espace médiéval, dir. J.L Deuffic, Pecia n°10, 2005, p.281-99. 
(4) Voir les travaux de l'historien Joachim Bouflet, auteur de nombreuses vies de saints et postulateur auprès de la Congrégation de la cause de saints (le postulateur est un consultant du Vatican qui fait un dossier très complet sur de possibles candidatures à la canonisation. Ce rapport doit tenir compte de tous les éléments biographiques du candidat, sans en négliger aucun aspect, ce qui permettra de juger impartialement, jusqu'à se faire " l'avocat du diable "). 
(5) Poème XII publié dans Recueillements poétiques en 1839. Ce recueil est le dernier de Lamartine, il rassemble trente poèmes qui célèbrent la fraternité humaine et le lyrisme social. Félix Guillemardet était le fils de l'ambassadeur de France en Espagne. 
(6) Vers 1 à 6. Ce nombrilisme est développé : " Pardonnez-nous, mon Dieu ! tout homme ainsi commence/ Le retentissement universel, immense,/ Ne fait vibrer d'abord que ce qui sent en lui ;/ De son être souffrant l'impression profonde,/ Dans sa neuve énergie, absorbe en lui le monde,/ Et lui cache les maux d'autrui ! " (vers 19 à 24). 
(7) Aux vers 159-160, la " faible femme ", décriée au début de l'ode, se métamorphose en mère apaisante et souffrante. 
(8) Eugène Delacroix était un ami d'enfance de Félix Guillemardet. On peut voir au Louvre le portrait à la mine du jeune homme -consultable sur le site du Ministère de la Culture : www.culture.gouv.fr (Base Joconde).   



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