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Numéro 10 - rive de l'invité - mai 2007

dr Laurent Pujol, maître de conférences à l’Université du Maine (France)

La Lutte des Sociétés Coopératives de Production

Confronté à la concurrence et à l'incertitude, le secteur industriel et artisanal s'approprie volontiers les termes guerriers de lutte, de combat. Les sociétés coopératives de production (SCOP) évoluent dans ce contexte. Leurs domaines d'activités sont très divers (industrie, artisanat, services…) et leur nombre ne cesse de croître (2). Nous évoquerons, dans cet article, celles qui disposent d'un conseil d'administration (SCOP-SA) et qui ont entre 20 et 60 salariés.   


Quel lien existe-t-il entre ces organisations et l'action bénévole, voire associative ? Cette action relève-t-elle d'une forme de lutte ? De statut coopératif, la SCOP est une " entreprise associative ". Chaque membre, volontaire, du conseil d'administration de la SCOP est élu par une assemblée générale composée majoritairement de l'ensemble des salariés. A ce titre, les SCOP sont des PME particulières. La présence au conseil d'administration ne donne habituellement pas lieu à rémunération. Le conseil se réunit hors des heures de travail. Les administrateurs assument les responsabilités de gouvernance de leur structure. S'ils ne se considèrent pas comme bénévoles, ils acceptent plutôt le terme de volontaires et trouvent intéressante l'expression " composante volontaire de l'emploi salarié ".   

Les SCOP sont engagées dans la compétition économique. Leur fonctionnement quotidien apporte la démonstration qu'il est possible d'entreprendre autrement. A côté d'une lutte économique classique, l'engagement SCOP tel qu'il est souligné par la tête de réseau des SCOP (la Confédération Générale des SCOP)(3), s'appuie sur un ensemble de valeurs : " passion, métier, esprit d'entreprise, participation, solidarité, responsabilité, démocratie ". Autant de moteurs d'action nourris par les valeurs coopératives.   

La Confédération Générale des SCOP doit maîtriser une tension entre des enjeux économiques vitaux pour chaque organisation et une vision de la SCOP qui, selon certains dirigeants, serait " un humanisme ". Les salariés reconnaissent, pour leur part, une meilleure productivité. La qualité du travail, l'écoute du client, l'entretien et le respect du matériel sont primordiaux pour eux. Ils proposent spontanément des améliorations et contactent leurs responsables quand ils ont eu connaissance d'informations émanant d'entreprises concurrentes. Ils sont aussi séduits par la confiance qui leur est témoignée, l'esprit de responsabilité et de participation, l'attention portée à leurs idées.   

" On travaille pour nous ". Ce constat s'appuie sur une comparaison avec l'entreprise " classique " : dans quelques cas, leur propre SCOP est passée d'un statut non coopératif au statut SCOP. La SCOP qui réalise des profits peut en verser une partie aux coopérateurs. De là, par l'action collective, le sentiment de travailler pour soi en recueillant de façon tangible les fruits de son travail. Les élus, de leur côté, ont une perception de leur pratique professionnelle comparable auquel s'ajoute une tension supplémentaire : concilier son métier avec un rôle de dirigeant d'entreprise. Le volontariat dans la vie administrative de la SCOP requiert des efforts pour passer d'un amateurisme bienveillant à une capacité d'analyse, de proposition, de recul sur les orientations gestionnaires et managériales. La Confédération Générale des SCOP propose des formations aux administrateurs pour les y aider.   

La SCOP est une entreprise duale qui offre aux salariés la possibilité de s'impliquer, par une activité volontaire originale, et de lutter ainsi pour la réussite économique et le développement des valeurs coopératives. Naturellement, selon la personnalité et le ressenti des salariés, élus ou non, la culture et l'identité de chaque organisation, le " niveau de conscience " de ce que pourrait être leur SCOP, varie. Si certains acteurs voient en elle un humanisme, d'autres ne la perçoivent que comme une simple PME. La lutte prend donc la forme d'un combat pour éclairer chacun sur un potentiel, un " modèle économique ", qui ne demande qu'à être bien utilisé et mieux connu. Ce militantisme discret, ce souffle, se développera par les échanges et rencontres entre acteurs (aux seins des instances représentatives régionales et nationales et dans les actions de formation), par une communication en direction des acteurs économiques et des créateurs d'entreprises et par un dialogue au quotidien dans chaque structure.     



(1) Ce texte a été écrit sur la base d'une série de sept entretiens semi-directifs réalisés à l'Union Régionale des SCOP de l'Ouest et auprès d'administrateurs de SCOP de type SA (sociétés anonymes disposant donc d'un conseil d'administration) aux secteurs d'activité différents. 
(2) 1499 en 2001, 1688 en 2006 
(3) www.scop.coop



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