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Numéro 13 - rive académique - mai 2008

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

De confidentia. Plongée dans la confiance

Confiance et confidencesont les héritiers de confidentia (1). Le nom dérive de fidere qui signifie " avoir confiance ". Le radical se décline en latin sous trois formes différentes :

Dès le XIIe siècle, fiance est remplacé par confiance. La valeur négative de confidentia n'est donc plus perceptible dès le Moyen Age. C'est pourquoi le français use de la périphrase " confiance en soi exagérée " ou du nom " outrecuidance " (3) pour faire réapparaître le sème négatif de l'étymon. La personnalité paranoïaque souffre de cette hypertrophie du moi, exaltation mentale s'accompagnant paradoxalement d'un sentiment de défiance (4).   

La confiance est une qualité chrétienne qui ne figure pas comme vertu théologale (5) mais nourrit la foi et l'espérance. Elle aide les croyants à parler courageusement et librement devant toute tyrannie, et alimente la joie intérieure des martyrs (6). Le Robert Historique explique, dans l'article confier, la complémentarité des mots confiance, foi et espérance. S'ils expriment tous " le fait de croire avec assurance ", foi est d'un usage laïque et psychologique face aux confiance et espérance impliquant un sentiment de sécurité.   

Le bénévolat est fondé sur un lien invisible qui rend l'association et le bénévole confidents, aux deux sens de l'adjectif au XVIIe siècle : " en qui on peut avoir confiance " et " confidentiel ". En effet, la réussite de cet engagement très personnel exige la foi totale des deux parties. Une clause tacite implique la confidentialité (7). Ce rapport assez abstrait est bien illustré par le confident, double littéraire indispensable du héros classique. L'assurance des protagonistes dépend de ces " personnes de confiance " qui guident, conseillent, agissent pour leur bien. La qualité du bénévolat repose sur cette foi d'œuvrer ensemble pour un même projet. " Ce n'est pas tant l'aide de nos amis qui nous aide que notre confiance dans cette aide " disait Epicure. Horace ajoutait : " qui a confiance en soi conduit les autres ".   

Abus de confiance, confiance aveugle ces expressions signalent que la confiance est une qualité précieuse et rare. Elle peut être galvaudée et inspire beaucoup de scepticisme à nombre d'écrivains. Pour Mark Twain, " tout ce dont nous avons besoin pour réussir dans la vie est l'ignorance et la confiance ". Jean de la Fontaine nous met en garde : " toute confiance est dangereuse si elle n'est pas entière : il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher " (8). La philosophie de Georges Courteline est faite sur ce point : " Si méfiant soit-on de ne plus rien prouver pour avoir voulu prouver trop, on peut avancer hardiment que cinq fois sur dix à peu près, dire 'expert' veut dire 'ignorant' ".   

Les Diablogues de Roland Dubillard (9) offrent une astucieuse argumentation sur la notion de confiance dans le Plongeon. Deux personnages s'apprêtent à plonger ensemble au signal mais ce moment ne viendra jamais. Le plongeon doit être simultané, c'est le point de dispute qui oppose les protagonistes. UN : Je (n')étais pas décidé parce que je ne veux pas plonger tout seul et que je n'ai pas confiance en vous. Et j'ai eu raison de me méfier ; parce qu'enfin quoi ! Avez-vous plongé oui ou non ?DEUX : Non, je n'ai pas plongé, parce que j'étais sûr que vous ne plongeriez pas.

La confiance est une plongée vertigineuse dans la foi de l'autre. Rappelons que la Mauvaise Foi romaine était une femme attirante dont le corps monstrueux est immergé dans l'eau du Cocyte (10). Fides (11) est une implorante vêtue de blanc. L'humilité de cette personnification contraste avec Mauvaise Foi qui tient dans ses mains deux cœurs et un masque. Se serrer la main scelle la parole donnée : main voilée d'innocente pureté pour le confiant ou du masque pour le fraudeur.

La force de conviction, la foi, la confiance ne s'expliquent pas et créent ce lien miraculeux et fragile entre les hommes.   
 
 
 
(1) C'est un doublet étymologique, c'est-à-dire un étymon qui a donné naissance à deux mots français. Le premier est appelé doublet savant, il est le calque du latin. Le second est le doublet populaire qui a évolué phonétiquement, souvent plus difficile à identifier. Cf fragilis > " fragile " (savant) et " frêle " (populaire), sacramentum > " sacrement " et " serment ". 
(2) L'antiphrase punica fides " bonne foi punique " désignait ironiquement la confiance des Romains envers les Carthaginois. 
(3) Le mot est dérivé du verbe outrecuider " avoir une confiance excessive en soi ". La présomption est un synonyme intéressant mais moins proche de confidentia. 
(4) Dictionnaire de Psychiatrie de Pierre Juillet (Paris, PUF, 2000) et Dictionnaire de Médecine Flammarion, Paris, Flammarion, 1975. 
(5) Les trois vertus théologales sont foi, espérance et charité. Voir Théo. Encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, Paris, 1989.
(6) Rappelons que force et justice, deux des quatre vertus cardinales (avec tempérance et prudence) soutiennent la confiance des martyrs de la foi. 
(7) Le mot du domaine didactique est assez récent en français. Il a été repris de l'anglais confidentiality et s'utilise surtout dans l'administration. 
(8) Quant au cinéaste Billy Wilder, il en plaisantait : " Faites confiance à votre instinct. Il vaut mieux que les erreurs soient les vôtres plutôt que celles des autres ". 
(9) Les Diablogues ont été montés au théâtre du Rond-Point et célébrés aux Molière d'avril 2008. Ces courtes inventions à deux voix traitent avec beaucoup de fantaisie de questions métaphysiques. 
(10) Elle est un composé de serpent et de scorpion, et parfois bicéphale. Voir Mythologie grecque et romaine de Commelin (Classiques Garnier, Paris, 1960). 
(11) Le culte très ancien serait hérité du roi Numa. Le ministre de son culte, vêtu de blanc, se voilait la main lors des sacrifices non sanglants.



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