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Numéro 15 - rive éditoriale - janvier 2009

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Pardon et rédemption

Le vingtième sièclea commencé par le génocide d'un million d'Arméniens sous l'Empire Ottoman, en 1915-1916. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le régime nazi a organisé l'extermination de six millions de Juifs (1). Le siècle s'est terminé par le massacre, en 1994, au Rwanda de près d'un million de Tutsis tués par les Hutus (2).   


Bertholt Brecht écrivait de manière prémonitoire en 1938 : " il est encore fécond le ventre d'où a surgi la bête immonde " (3). La signature de la Convention sur la prévention et la répression du génocide en 1948 (4) n'a pas empêché d'autres massacres en Europe. Lors de la désintégration de l'ex-Yougoslavie, dans les années 1990, le projet de Grande Serbie a mis en œuvre un " nettoyage ethnique " contre la communauté musulmane.   

Si une amnésie collective est pratiquée par la République turque sur le génocide arménien, le procès de Nuremberg (5) a précisé la notion de crime contre l'humanité (6). La Cour pénale internationale, créée en 1998 à La Haye, après la guerre des Balkans, a pour mission de juger les " crimes les plus graves ayant une portée internationale " (7).   

La reconnaissance officielle des crimes commis est nécessaire pour que les victimes puissent pardonner surtout quand les communautés doivent continuer de vivre ensemble. Rappelons aussi le rôle joué par les " Justes " qui ont choisi de s'opposer au comportement criminel prôné, dans des périodes troublées, sous des régimes d'exception, par leur communauté ou l'institution à laquelle ils appartenaient (armée, police, justice…).   

Une équipe de chercheurs du Centre d'études et de recherche internationale (CERI) de Sciences Po (8) a consacré une analyse à ces " Justes " qu'ils appellent " sauveteurs ". Selon Claire Andrieu, " c'est probablement la notion du risque qui réunit le plus grand nombre de sauveteurs, avec l'appréhension qu'elle engendre et qu'ils ont surmontée par des comportements variés allant de l'intéressement au désintéressement et au sacrifice ". Pour Jacques Sémelin, ces " sauveteurs " possèdent un trait essentiel " celui d'être animé par des valeurs morales et, de ce fait, d'être ouvert à l'autre, de posséder en somme une disposition altruiste fondamentale ".   

Cet altruisme, cette ouverture à l'autre, sont les principales qualités qui animent les bénévoles des associations qui œuvrent ensemble pour la reconstruction au Rwanda ou dans les pays des Balkans. Des hommes et des femmes issus des communautés de " victimes " et de " bourreaux " construisent un avenir commun. Ils ont partagé un passé douloureux mais ont décidé de passer outre leurs épreuves. Ils n'oublient pas. Les " victimes " ont décidé de pardonner ; les " bourreaux " ont accepté la main tendue. Ils savent qu'une action commune, un projet à défendre, sont les seuls chemins de la rédemption.   

Quatre intellectuels turcs ont récemment lancé une pétition sur Internet pour " demander pardon " à leurs " frères et sœurs arméniens ". Une conférence organisée en 2005 à Istanbul a reconnu leur martyre. Des initiatives individuelles permettent aux mentalités d'évoluer. Si l'intervention des Etats est importante, la société civile, et plus particulièrement les associations, ont un rôle essentiel à jouer pour la réconciliation entre les peuples et les communautés.   

Il faut du courage pour demander pardon. Un engagement dans un projet associatif peut être la première étape d'une démarche plus personnelle. Il est parfois plus facile de s'adresser à un groupe qu'à une personne en particulier. Seuls les actes permettent de rendre tangible le pardon : les victimes et leurs bourreaux qui travaillent ensemble, côte à côte, pour construire un avenir commun, ouvrent la voie de la rédemption.   
 
 
 
(1) chiffre présenté lors du procès de Nuremberg in Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, éd. La Découverte, 2005 
(2) 800 000 après recensement selon l'ONU et l'OUA, http://www.un.org/french/peace/rwanda.pdf 
(3) Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du Troisième Reich (Furcht und Elend des Dritten Reiches), 1938 ; édité par L'Arche Editeur, Paris, 1997. 
(4) adoptée au Palais de Chaillot le 9 décembre 1948 
(5) 1945-1946, Les travaux du tribunal militaire international sont accessibles sur le site de l'Université de Yale (Etats-Unis) : http://avalon.law.yale.edu/subject_menus/imt.asp 
(6) Hannah Arendt distingue crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité in Les Origines du totalitarisme (The Origins of Totalitarianism), 3 volumes (Antisemitism, Imperialism, Totalitarianism), 1951 ; édité au Seuil, Paris, 1995. 
(7) site de la Cour pénale internationale : http://www.icc-cpi.int/home.html&l=fr 
(8) Sémelin J. ; Andrieu C., Gensburger S., La Résistance aux génocides : de la pluralité des actes de sauvetage, Presses de Sciences Po, Paris, 2008.



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