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Numéro 15 - rive éthique - janvier 2009

dr Luc Schneider, chercheur au Centre Jean Nicot

Pardon, fragilité et charité

Le pardon est la rémission d'une faute ou d'une offense, selon la définition du Larousse. Pardonner, c'est faire grâce de quelque chose, notamment d'une dette ou d'une peine. L'usage lexical suggère donc qu'en commettant une faute, on cause un dommage, qui a pour conséquence morale l'obligation d'une réparation proportionnelle au tort fait. Il est présupposé que le dommage causé à une autre personne est préjudiciable à l'intégrité de son corps, de son âme ou de ses droits moraux.   


Pour qu'une personne puisse être lésée, il faut qu'elle soit, dans une certaine mesure, physiquement ou moralement vulnérable, et, donc périssable ou mortelle. En effet, comment léser un être omnipotent et infini ?   

Le pardon serait le propre de l'homme constamment exposé à la souffrance et à la mort. A première vue, il serait donc entièrement humain, plus précisément interhumain. C'est la fragilité du prochain qui nécessite l'attention et le soin, et qui fonde l'obligation de réparer toute atteinte à son intégrité physique et morale. L'égoïsme n'est en fait que l'oubli de cette fragilité, car seul un être conscient de sa vulnérabilité peut se rendre compte de la faiblesse d'autrui.   

Prendre soin de l'autre dans sa fragilité, c'est l'essence de la charité qui répare les dommages que les hommes commettent les uns envers les autres par leur ignorance ou leur aveuglement volontaire ou involontaire. La charité permet de pardonner à autrui ses offenses, anticipant ainsi leur réparation en les annulant. Elle n'occulte pas les défauts de l'autre, mais elle ne les voit pas.   

On affirme souvent que la charité n'est possible que par l'oubli de soi-même, et même que les deux mots signifient la même chose. Rien n'est moins vrai : au contraire, la charité présuppose la prise de conscience de sa propre personne dans toute sa fragilité, le fait de se mettre soi-même à sa juste place. Or, selon le philosophe Thomas Nagel, cette prise de conscience se réalise par le dépassement d'un point de vue subjectif et individuel en faveur d'une perspective objective et supra-individuelle. C'est cet auto-dépassement qui caractérise la conscience morale. En effet, la conscience morale est la conscience de soi-même qui dépasse le point de vue égo-centrique.   

La conscience morale se réalise dans la charité, par laquelle s'opèrent le pardon et la réparation. Cette réparation est l'essence même du soin porté à l'autre, c'est à dire du " bien vouloir à l'autre ", qui devrait être à la source de cette démarche. Ne serait-ce pas d'ailleurs l'étymologie du mot bénévolat ?



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