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Numéro 15 - rive et dérives - janvier 2009

dr Madeleine Marchi, enseignante, docteure en Littérature médievale

Pardonnable et impardonnable

La notion de pardon est sans doute l'une des plus complexes et des plus délicates dans la mesure où elle mêle le religieux, le politique et l'humain. Elle suscite à la fois le rationnel et l'émotionnel si radicalement opposés.   


Il est impossibled'évoquer le problème du pardon dans un monde de plus en plus matérialiste en niant les connotations religieuses qui en fondent le concept. A la loi simpliste (et finalement reposante) du talion édictée par la Bible, l'Evangile substitue une nouvelle notion beaucoup plus dérangeante. Le Christ pardonne à ses bourreaux (" Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font "), refuse la vengeance (" si on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche ") et place l'homme face à ses propres limites (" Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ").

Le pardon est l'un des piliersde la religion chrétienne avec l'amour du prochain dont il est le corollaire. Le sacrement de confession institutionnalise en quelque sorte le pardon, implique le repentir du pécheur, la prise de conscience de ses fautes, le désir de les exprimer et de changer de conduite. La notion, même de " péché " montre bien que la faute commise est dirigée avant tout contre Dieu et que c'est lui qui détient le pouvoir de pardonner et non les hommes. Evidemment, les croisades, les guerres de religion, l'Inquisition laissent rêveur et l'on s'interroge sur la coexistence de cette notion essentielle de pardon avec cette intolérance généralisée.

Transposée dans un monde laïque,la notion de pardon nous concerne tous sur un plan politique depuis l'apparition de ce concept nouveau de " crime contre l'humanité ". Comment pardonner l'impardonnable ? La nécessité de punir demeure mais la nécessité d'avancer et de dépasser rivalité et clivages se révèle tout aussi impérieuse. Elle implique le pardon pour que l'ennemi d'hier puisse devenir l'ami de demain. Tenté d'admettre cela, on risque de s'enliser dans une rancœur interminable au nom d'une haine atavique sans savoir réellement pour qui ou pour quoi l'on se bat. La difficulté en politique réside dans l'équilibre puisqu'il faut à la fois punir la faute, s'ouvrir à l'avenir sans nier le devoir de mémoire. De ce fait, le pardon n'implique pas l'oubli, la faute doit servir de leçon à tous pour l'avenir. C'est à ce miracle que parvient Primo Lévi dans un bouleversant Si c'est un homme (1) mais l'on voit combien cela peut s'avérer difficile.

C'est sur le plan strictement humainenfin que le pardon se révèle complexe. Que l'on soit chrétien ou non, le pardon est l'attitude morale la plus noble et la plus bénéfique pour tous. En effet le refus de pardonner abaisse, avilit : " lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons " disait la Rochefoucauld. En pardonnant, l'homme se montre différent, supérieur à son agresseur, il se libère d'une spirale de violence stérile et destructrice et se donne la possibilité d'avancer. Quant à celui qui reçoit ce pardon, il bénéficie lui aussi d'un renouveau de confiance qui ne le cantonne pas à un rôle négatif mais au contraire lui offre tous les possibles. Des esprits chagrins peuvent voir dans le pardon une manifestation d'orgueil ou au contraire une preuve de faiblesse, voire d'indifférence, tout acte humain est toujours moins limpide qu'il n'y paraît.

Pardonner à autruile mal qu'il vous a fait demeure un acte difficile mais possible, ce qui devient plus problématique est de pardonner à autrui le mal causé à ceux que nous aimons parfois plus que nous-mêmes. Se pardonner les fautes et les erreurs commises est tout aussi difficile. Nombreux sont les êtres rongés par une culpabilité réelle ou supposée à propos d'un acte anodin qui a entraîné sans le vouloir le malheur d'autrui. Enfin, si personne n'est coupable ni responsable du mal comment se débarrasser de ce sentiment d'amertume, d'injustice lorsqu'il n'y a personne à qui pardonner ? Comment pardonner à un Dieu en qui on ne croit pas ? La souffrance des libertins du XVIIème siècle, comme celle de l'homme kafkaïen, est aussi celle là…
 
 
(1) Primo Levi, Si c'est un homme (Se questo è un uomo), 1947, édité par Julliard, Paris, 1987 et 2002.



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