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Numéro 18 - rive académique - janvier 2010

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Entrée en matière ou l'art du prélude

L'œuvre de Frédéric Chopin comprend vingt-quatre Préludes considérés comme une prodigieuse somme de poésie qui " fonde l'impressionnisme musical " (1). Qu'est-ce qu'un prélude ? C'est une " suite de notes, souvent improvisée, chantée ou jouée pour se mettre dans le ton et essayer, chauffer la voix ou l'instrument " (2). Puis, le terme se précise : c'est une pièce musicale de forme libre servant d'ouverture à une œuvre, d'introduction à une action liturgique ou à un acte solennel. Par extension, le prélude désigne une pièce autonome, de forme libre. Au sens figuré, il est le morceau qui prépare, annonce quelque chose, en constitue l'introduction.  

Le jeu est au cœur du prélude. Il est hérité du latin ludus " jeu en actes ", par opposition au " jeu en paroles ", jocus (3). Plusieurs mots, assez éloignés en apparence, appartiennent à cette même famille : allusion, de al-ludere qui signifie " effleurer comme en jouant " ; collusion de col-ludere " jouer, s'entendre ensemble " ; illusion de il-ludere " se jouer de, railler " ; éluder de e-ludere " mettre fin au jeu ". Les dérivés ont un sens négatif, ils évoquent détour, faux-semblant, tour, échappatoire. Le jeu du prélude est plus joyeux et prête moins à des sens péjoratifs peut-être parce qu'il touche à l'art.  

Prélude, prologue, préface, préliminaire, exorde… L'entrée en matière est un art véritable. L'incipit (4) constitue le prélude d'une œuvre en prose ou en vers (5). La première rencontre, le premier contact impriment un souvenir souvent indélébile : " La première impression est toujours la bonne, surtout si elle est mauvaise " prévenait le dialoguiste Henri Jeanson (6). L'entrée en matière est délicate si l'on n'y est pas préparé, Winston Churchill considérait qu'un discours improvisé devait être réécrit trois fois.  

Le bénévolat est-il le prélude très préparé d'une autre vie ? Le choix de son engagement est parfois soudain, il obéit néanmoins à une lente maturation. Il ne faut pas considérer le bénévole comme un saint laïque : donner est un geste naturel quoique difficile. C'est pourquoi la formation est un enjeu de plus en plus important pour l'avenir des associations. On peut se tromper, changer, trouver sa voie. La volatilité des bénévoles, souvent dénoncée, n'est pas le fait de l'instabilité des candidats mais de la conscience forte du rôle qu'ils doivent jouer. C'est pourquoi le " prélude bénévole " est si important.  

La première expérience bénévole est capitale mais ne doit pas être trop raisonnée. Si certains répondent à des questionnaires pour savoir quelle association rejoindre (7), il faut laisser libre cours au hasard et aux rencontres. Une phrase de Romain Rolland sur le prélude illustre très bien cette démarche : " premiers accords du prélude à la symphonie, qui se déroula avec ma vie, non sans incidents variés, fantaisies contrapuntiques, sautes de rythmes et modulations inattendues " (8).  

Préludes, valses, impromptus… le parcours bénévole peut être comparé à l'œuvre de Frédéric Chopin (9). L'engagé doit apprendre à improviser, s'adapter, se former, apprendre. Pour faire œuvre utile, l'ennui ou le dépit sont de mauvais moteurs. Si le bénévolat choisi ne correspond plus à ses aspirations, on peut trouver des voies différentes pour approfondir ses connaissances ou acquérir de nouvelles compétences. Songeons à Robert Schumann, ce grand musicien romantique à l'instar de Chopin, dont on célèbre aussi le bicentenaire de naissance. Brutalement, le virtuose fut privé de l'usage d'un de ses doigts et dut reconsidérer son avenir. Il se consacra alors à la composition et à la critique musicale. 

  1. Article " Chopin " in Petit Robert 2, Dictionnaire universel des noms propres, Editions Les Dictionnaires Le Robert, Paris, 1991.
  2. Article " prélude " in Trésor de la langue française. Toutes les définitions sont empruntées au TLF.
  3. Incipit appartient au vocabulaire littéraire. Il s'agit du verbe latin incipio à la 3ème personne du singulier de l'indicatif présent. On peut le traduite par : " (le livre) commence ".
  4. Cet incipit constitue parfois le titre des poèmes laissés sans nom. On peut citer ceux de Joachim Du Bellay : " Las ! Où est maintenant ce mépris de Fortune ", " Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ". Le procédé a fait florès chez Charles Baudelaire : " J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans ", " Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ".
  5. Il a notamment dialogué Hôtel du nord de Marcel Carné (1938) ou Fanfan la tulipe de Christian Jacques (1962).
  6. L'adjectif " ludique " est tiré de ludus, le nom " jeu " de jocus.
  7. Voir le site canadien http://cabm.net/fr/premiere qui propose toute une série de questions pratiques pour optimiser son bénévolat (travailler avec les autres ? être chez soi ou à l'extérieur ? acquérir des compétences ? disponibilité ?)
  8. Citation tirée de Voyage intérieur (1942).
  9. Le pianiste Chopin n'a composé que pour cet instrument.



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