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Numéro 25 - rive editoriale - décembre 2013

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Songe d'une nuit d'automne

« Le 17 novembre 2012, Juliette S. aurait eu quarante-six ans.
Le 5 novembre 1996, à Boulogne-Billancourt, elle était tragiquement arrachée à la vie.
Celles et ceux qui avaient l’obligation, familiale ou professionnelle, de la soutenir, l’ont cruellement conduite à la mort.
Ceux qui l’ont aimée se souviendront du sourire, de l’humour et de la joie de vivre de Juliette.
De la part de son père.
»

Cet anniversaire de disparition publié chaque année dans un journal du soir (1) traduit la souffrance d’un père, resté inconsolable de la mort de sa fille. Il est aussi révélateur du tabou que constitue le suicide en France. Dans un documentaire intitulé « Suicide, un silence de mort » (2), Benjamin Batard explique que « se donner la mort ou tenter de le faire » est considéré comme un mal mystérieux, souvent honteux, qui culpabilise autant son auteur que ses proches, « qui n’ont pas su l’empêcher », et plus largement toute la société.

Dans un rapport de l’Inserm publié en 2005 (3), les experts chargés d’analyser le phénomène en France ont souligné que le suicide constituait un phénomène majeur de santé publique. Notre pays demeure l’un des pays industrialisés les plus touchés avec la Finlande, la Belgique, l’Autriche et le Luxembourg (4). Comportement autodestructeur, il est l’aboutissement d’une situation de crise, souvent insuffisamment perçue par l’entourage et le corps médical. Il concerne tous les âges et les deux sexes. Les experts ont classé les comportements suicidaires en fonction de plusieurs facteurs (5) qui peuvent être concomitants. Quelle qu’en soit la cause, les spécialistes s’accordent à dire qu’il est impossible d’établir un portrait précis du sujet suicidaire ou même de prévoir un passage à l’acte.

Une technique dite « d’autopsie psychologique », pratiquée au Canada, en Grande-Bretagne ou encore en Finlande, mais encore confidentielle en France, vise à reconstituer les circonstances psychologiques, sociales et médicales entourant le décès d’une personne suicidée par la collecte de données auprès de ses proches. D’abord appliquée à des fins médico-légales (quand les causes du décès étaient mal définies), cette technique peut être utilisée pour la recherche pour affiner la connaissance des facteurs de risque du comportement suicidaire et ainsi contribuer à la prévention.

L’Observatoire national du suicide, créé en 2013 par la ministre de la santé, a pour « mission d’améliorer la connaissance du phénomène et de produire des recommandations dans le champ de la prévention ». Il réunit associations, professionnels de santé, chercheurs, personnalités qualifiées, parlementaires ainsi que des représentants de sept ministères et des caisses d’assurance maladie. Les associations œuvrent depuis de nombreuses années pour  informer sur le suicide et accompagner les familles concernées.Auprès des pouvoirs publics, leur longue expérience du problème peut aider à mettre sur pied une politique qui soit à la hauteur de l’enjeu de santé publique qu’elle représente en France. Auprès des familles dont un proche s’est suicidé ou a fait des tentatives de suicide (6), elles proposent une écoute et un soutien précieux en apportant des explications, parfois des réponses à des questions qu’elles se sont posées, au sentiment de gâchis qu’elles ont éprouvé. Le Groupement d'Etudes et de Prévention du Suicide (7) a recensé 7 associations principales qui interviennent sur le sujet (8).

La définition du mot « songe » hésite en français  entre le sens positif de « rêve » qui peut se réaliser et celui plus négatif de « chimère » ou « illusion » qui s’évanouit avec la réalité. Etudions ces deux significations pour notre « songe d’une nuit d’automne ».

Supposons que Monsieur S. décide de se tourner vers une association. Plusieurs situations peuvent se produire. Il peut être réfractaire à la chose associative, peu convaincu par les solutions qui lui sont proposées qui lui semblent illusoires. Il abandonne rapidement. Sa tentative d’apaisement reste une chimère. Il peut au contraire trouver sa place, et un rôle à jouer, dans une association dans laquelle il s’est engagé. En réussissant à partager son épreuve avec d’autres, il trouvera une consolation. Après plusieurs expériences associatives, Monsieur S peut enfin décider de créer sa propre fondation en souvenir du drame vécu par sa fille. Il réussit à surmonter son épreuve en lui donnant une réalité concrète, en la transmettant à d’autres.

Monsieur S peut aussi choisir de rester inconsolable. Conserver intacts sa colère et son chagrin est sa manière de garder vivante la mémoire de sa fille. Dans Illusions perdues, Honoré de Balzac écrivait que  seule  «la résignation  est un suicide quotidien» (9). Quelle que soit la décision de Monsieur S., l’important est de ne pas se résigner, de ne pas abandonner. La beauté et l’ambiguïté du songe est d’hésiter entre réalité et chimère.

« To be, or not to be, that is the question» (10). Cette question existentielle se pose souvent dans les moments décisifs.

(1)  Carnet du Monde, publication de ce faire-part de décès,  chaque 17 novembre de 1997 à 2012
(2)  Benjamin Batard, Suicides, silence de mort   documentaire diffusé sur France 3 en juin 2013
(3) Eric Jougla, Centre d’épidémiologique sur les causes médicales de décés, CépiDc Inserm, Le Vésinet, 2005 et travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre d’une procédure d’expertise collective, pour répondre aux questions posées par la Direction générale de la santé (DGS) concernant l’intérêt de la démarche d’autopsie psychologique dans la prévention du suicide. Le Centre d’expertise collective de l’Inserm a assuré la coordination avec le Département animation et partenariat scientifique (Daps) pour l’instruction du dossier et le service de documentation du Département de l’information scientifique et de la communication (Disc) pour la diffusion.
(4) En France, on compte  plus de 10 000 suicides par an
(5) Six facteurs sont identifiés dans le rapport de l’INSERM :  l’intentionnalité du sujet (désir de fuite, de vengeance, suicide altruiste, prise de risque, comportement ordalique, auto sacrificiel) ; l’idéation suicidaire ; le moyen utilisé (violent ou non) ;  le degré de létalité (nécessitant une hospitalisation) ;  l’importance des altérations du fonctionnement cognitif (agressivité, impulsivité) ; les circonstances aggravantes ou précipitantes (confusion mentale, intoxication, contexte sociodémographique particulier) ; enfin la présence de comorbidités psychiatriques ou autres.
(6) Elles sont dix fois plus nombreuses que les suicides soit environ 160 000 en France chaque année
(7) Crée en 1969, le GEPS est une association loi 1901 qui a pour vocation de regrouper des professionnels et des intervenants concernés par les problèmes du suicide. http://www.geps.asso.fr/
(8) l’Unafam (Union Nationale des amis et familles de malades Psychiques depuis 1963), l’UNPS (Union Nationale Pour la Prévention Du Suicide depuis 1996), la Fnap Psy (Fédération Nationale des Associations d'(ex)Patients en Psychiatrie), Jonathan Pierres Vivantes (association de parent en deuil), Phare Enfants-Parents  (Prévention du mal-être et du suicide des jeunes), Fil Santé Jeunes (Site interactif pour les jeunes), Vivre son deuil (depuis 2001 en Belgique, en France et en Suisse), France dépression (regroupant des patients, leurs familles, des médecins, des infirmiers, des assistantes sociales), et Schizo?...Oui! (née en 1998 ).
(9)  Honoré de Balzac, Illusions perdues, Paris, 1843.
(10)  William Shakespeare , The Tragical History of Hamlet, Prince of Denmark , Acte 3, scène 1, London, 1601.



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