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Numéro 23 - rive académique - décembre 2012

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Mosaïque, grâce des Muses

rive académique de juin 2012

 dr Eve-Marie Halba,  secrétaire générale de l’iriv

Mosaïque, grâce des Muses

Musée, musique, mosaïque, on ignore souvent que ces termes viennent du mot muse. D’origine grecque, mousa, ne présente pas une étymologie claire. Selon Pierre Chantraine (1), trois pistes sont possibles mais guère satisfaisantes. Les divinités de la montagne et des champs, filles de Mnémosyne, pourraient tirer leur nom de mons (« montagne » en latin) ou de la racine indo-européenne *men. Depuis Homère, les Muses sont au nombre de neuf (2), elles escortent Apollon, le dieu des arts, pour divertir les Olympiens de leurs chants. Muse est introduit en France au XIème siècle par les traducteurs de Boèce. Au pluriel, l’expression muses françaises est synonyme de « belles lettres » et plus particulièrement, de poésie. Au singulier, muse est « l’inspiratrice d’une œuvre poétique » (3) d’où l’expression plaisante taquiner la muse pour « faire des vers ».

Lieu de prélassement et de repos consacré aux Muses,le musée (4) est une grotte où « l’on s’adonne aux arts littéraires » et « une académie où les Anciens cultivaient les arts » (5). A partir de 1721, le mot désigne le sanctuaire d’Alexandrie que Ptolémée, sous l’influence d’Aristote,  transforma en lieu de développement du patrimoine mondial et de culture grecque ouverte aux sagesses barbares. Par analogie, il devient « le cabinet d’un homme de lettres » et « la société savante réunissant ses membres dans un lieu particulier » (6). La famille lexicale est plus récente : muséographie (1824), muséographe, muséographique (1840), muséologie (1931), muséologique (1950), écomusée (1960).

La musique est « l’art des muses » par excellence. En français, le mot est attesté en 1150. Il désigne « l’ensemble des arts de l’Antiquité grecque », puis se spécialise en « art de combiner des sons musicaux, d’organiser une durée avec des éléments sonores ». Par métonymie, il désigne la « production de cet art ». L’adjectif musical date du XIVème siècle. Le verbe musiquer, attesté au XVIème, signifie « mettre en musique (usage transitif) ou « jouer de la musique » (usage intransitif). Le composé anglais music-hall, littéralement « salle de musique », désigne depuis 1862 un « établissement qui présente un spectacle de variété ».

La mosaïque est la décoration des grottes dédiées aux Muses depuis le grec byzantin (7). Au Ier siècle avant J.C., musivum (opus) désigne les mosaïques pariétales et les fontaines monumentales de l’empire romain, puis les mosaïques murales en général et finalement la technique tout entière. Le procédé artistique est l’un des plus minutieux, à la confluence de la peinture et de l’architecture (8). Mosaïque est tiré de l’italien mosaico.Commynes est le premier écrivain français à l’utiliser (9) pour évoquer les mosaïques de Saint Marc de Venise, chef d’œuvre de la technique byzantine (10) du mosaïste Paolo di Domo dit Ucello (1397-1475). Formé à la peinture et à l’orfèvrerie, le « poète de la science » (11) y appliqua les règles de la perspective « naturelle »  dérivant des conceptions médiévales de l’optique.

Longtemps, le sens propre de mosaïque domine, le sens figuré, « ensemble composé d’éléments disparates », n’apparaît qu’en 1765. Au XXe siècle, un emploi botanique spécifique, enrichit le sémantisme, la mosaïque désigne « une maladie des plantes cultivées se manifestant par des taches jaunes ». Deux sèmes se détachent dans le mot, celui de combinaison artistique (à base de galets, de pierres ou de verrerie) et celui de variété. On peut rapprocher de mosaïque marqueterie, cet assemblage décoratif des bois précieux, d’écaille, d’ivoire, de nacre ou de métal. L’idée de polychromie harmonieuse se retrouve dans plusieurs mots :la bigarrure est  « un assortiment de couleurs tranchées », le bariolage de couleurs diverses, la jaspure de taches ou de bandes multicolores et irrégulières, la tavelure de fines taches, la moucheture de petites marques sur fond uni.

La sonorité exotique de mosaïque nourrit l’imagination. Le nom invite à voyager dans le monde gréco-romain, dans le bassin méditerranéen. Curieusement, les poètes n’ont guère utilisé ce mot, même les romantiques qui aimaient à se dépayser. En revanche, mosaïque est le titre d’un magazine spécialisé, d’une radio, d’une revue de chercheurs, d’une émission télévisée (12). Ne nous trompons pas de « mosaïque », l’autre entrée du dictionnaire est l’adjectif tiré de Moïse. Une homophonie intéressante, pour un homme aux multiples « tesselles » : l’enfant abandonné aux caprices d’un fleuve et sauvé par la fille du pharaon, l’auteur du Pentateuque et le guide des Hébreux vers la Terre Promise.  Un homme mosaïque.

(1)  Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klinsieck, 1980.
(2)
Calliope (poésie lyrique), Clio (histoire), Erato (lyrique chorale), Euterpe (flûte), Melpomène (tragédie), Polymnie (pantomime), Terpsichore (poésie légère et danse), Thalie (comédie) et Uranie (astronomie).
(3)
Attestation en 1548 pour le singulier, 1561 pour le pluriel. Un siècle plus tard, le poète Boileau donne à muse le sens d’ « inspiration propre à chaque poète » (1665).
(4)
Musée et muséum sont les doublets étymologiques tirés du latin musaeum. Les mots ont été concurrents jusqu’au XVIIIe siècle. Le français privilégie musée mais utilise parfois l’autre forme (Muséum d’histoire naturelle). Les Anglo-Saxons préfèrent la forme latinisée sans accent (British Museum).
(5)
Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, vol.2, Paris, 1992.
(6)
Musée central des arts est le premier nom du Louvre. Créé par la Constituante de 1793, il est composé des collections royales, montrées dans le Salon carré et la Grande galerie. Les grands musées mondiaux datent de la fin du XVIIIème siècle : le Belvédère de Vienne, le British Museum de Londres ou l’Ermitage de Leningrad.
(7)
Le grec mouseion, « lieu où résident les Muses », se transforme en musivum (opus), latin impérial finalement déformé en musaicum (opus) par les clercs du Moyen Age.
(8)
On en distingue deux types : la mosaïque de pavement et la mosaïque murale ou de revêtement (plus tardive). Voir l’article mosaïque d’Henri Stern in Encyclopaedia universalis, Encyclopaedia universalis S.A., 1985.
(9)
Il l’évoque dans Faict de musayque (1498). On note la graphie étymologisante.
(10)
Les Byzantins, passés maîtres dans l’art de la mosaïque paléochrétienne, rayonnèrent au-delà des frontières de l’Empire. Les mosaïques des cathédrales Saint Marc et Sainte Sophie (Kiev) datent du XIe siècle.
(11)
Fils d’un barbier-chirurgien, Ucello s’était initié à l’Art des Médecins et Apothicaires. Il est connu pour ses talents de conteur et d’animalier, pour son goût du merveilleux et son traitement des figures échelonnées dans l’espace. La cathédrale Saint Marc datait du XIe siècle, mais un incendie l’avait ravagée, Ucello fut choisi pour refaire ses mosaïques.
(12)
La revue sur l’art de la mosaïque est à son quatrième numéro (http://www.mosaiquemagazine.eu) Mosaïque FM est une radio tunisienne (http://www.mosaiquefm.net), fondée en 2003. La revue belge Mosaïque a été créée en 2008 par de jeunes chercheurs francophones en sciences de l’homme et de la société de la région Lille Nord de France (http://www.revuemosaique.net). L’émission de télévision Mosaïques était produite, pour France 3 par l'Agence pour le développement des relations interculturelles

 

 




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