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Numéro 3 - rive spirituelle - mars 2005

Abbé Régis de Saint-Rémy, prêtre

Abnégation

Lors du Tsunami en Asie du Sud-Est il y a quelques semaines, j'ai été édifié par le comportement de ce vacancier qui avait décidé de transformer son séjour en période d'assistance aux blessés du raz-de-marée, sans que personne ne l'y obligeât. S'il est vrai que les circonstances l'invitèrent à ce bénévolat, cet homme, au lieu d'assister médusé à des sauvetages éventuels, choisit d'agir " hic et nunc ", c'est-à-dire là où il était et au moment où il était. Cet homme a fait preuve d'abnégation : il a consacré son temps et son énergie à ce qu'il considérait comme un bien commun, la sauvegarde de l'humanité. Son " ego " s'est effacé devant un bien supérieur au sien. L'abnégation, c'est-à-dire le renoncement à soi-même, est parfois chose fréquente, car l'existence de tous les jours fait volontiers appel à des petits sacrifices ponctuels, limités dans le temps. C'est le propre de l'homme de pouvoir faire preuve d'abnégation, car il possède, à la différence des autres animaux, le choix des moyens le conduisant à sa fin. Il y a donc une abnégation physique, celle du bénévole qui nettoie une plage de mazout pendant l'hiver ; une abnégation professionnelle, celle d'accepter qu'un autre décroche le contrat que l'on convoitait ; une abnégation amicale, qui sera normalement faite avec plaisir ; une abnégation conjugale, plus ou moins facile selon les cas ; une abnégation familiale, faisant appel en plus à notre patience ; et d'autres encore que le lecteur saura trouver.  

Le point commun à toutes ces abnégations est le sacrifice de notre velléité, de nos désirs, de nos préférences, de nos sentiments, mais aussi de nos principes, de nos " manières de voir ". Nous faisons alors fi de nos habitudes, de notre égoïsme et de notre amour-propre. Mais l'abnégation, à l'image de celle qui est demandée dans le bénévolat, peut-être encore plus exigeante quand elle demande l'engagement de toutes nos actions, de l'être tout entier, et parfois l'engagement de toute une vie. Alors les efforts particuliers deviennent un effort général et les petits sacrifices deviennent un grand sacrifice.  

Au point de vue politique, l'histoire a retenu le roi Louis le neuvième (Saint Louis pour les catholiques) soignant les lépreux et les scrofuleux car il considérait que son devoir d'état était de montrer l'exemple. Pareillement, il pratiquait l'abnégation lorsqu'il rendait la justice sous son chêne, ou lorsque les grands de ce monde faisaient appel à cette même justice. Il pensait que là était son rôle.  

Plus près de nous, la révolte vendéenne de 1793 illustre l'abnégation au point de vue social. Cette révolte spontanée d'une population défendant ses droits religieux eut lieu sans préparation aucune, a tel point qu'elle fut désapprouvée par plusieurs de ses futurs chefs. Mais peu importait, ces paysans n'hésitèrent pas à quitter leurs femmes, leurs enfants, leurs récoltes, leurs fermes afin de combattre pour leur Dieu. Leur abnégation sera sollicitée plusieurs années car ils furent seuls à s'opposer aux troupes républicaines régulièrement remplacées.  

Il existe enfin une abnégation plus complète incluant tous les actes de la vie, celle des religieux dans leur monastère. Ils sacrifient leur liberté (ils font vœu d'obéissance), leur affectivité (ils font vœu de chasteté) et leur satisfaction matérielle (ils font vœu de pauvreté). A les écouter, cette abnégation, loin de les rendre aigris, les obligent à se surpasser eux-mêmes, à donner le meilleur d'eux-mêmes. Le bénévolat peut demander ce genre d'abnégation radicale, véritable don de soi-même faisant appel à notre générosité, à notre désintéressement, à notre oubli de nous-mêmes. Elle est motivée par l'amour des autres, le bien commun, l'humanité, un principe supérieur, sa foi, ses idéaux. Les grandes figures du bénévolat actuel donnent l'exemple. Plus cette abnégation nous coûte et plus elle est efficace, tout simplement parce que nous donnons plus.  

On dit qu'il y a plus de joie à donner qu'à recevoir. On voit les sacrifices demandés, mais on ne voit pas la satisfaction toute spirituelle qui en découle. Indépendamment des raisons de notre engagement, il existe une conviction qui peut-être commune à tous, quand on a compris que le genre humain est unique : c'est que l'humanité est meilleure lorsque chacun d'entre nous est meilleur.    


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