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Numéro 3 - rive de l'invité - mars 2005

Guy Truchot, adjoint au chef de la Mission statistique, Ministère de la Jeunesse, des sports et de la vie associative

Associations, bénévolat et emploi

Des données de l'INSEE estiment à environ 12 millions le nombre de bénévoles militant dans le million d'associations françaises. Le tiers de ces "coproducteurs" ont une activité d'ampleur et de durée significatives, ce qui représente un gisement de ressources humaines souvent ignoré, parfois dévalorisé. Face à ce constat, la reconnaissance des acquis de l'expérience bénévole représente un défi social. Pour le faire avancer, il suffirait de reconnaître un principe simple: la pratique d'une activité bénévole, accomplie avec professionnalisme, génère des compétences similaires à celles produites dans une activité professionnelle de même nature. C'est reconnaître, pour le bénévolat, les effets formateurs d'activités professionnelles admises dans le champ du travail. Le récent Accord National Interprofessionnel du 20 septembre 2003 l'a d'ailleurs réaffirmé. Mais ce principe de bon sens n'est pas aussi partagé qu'on pourrait le penser. Les réticences proviennent d'abord d'un doute sur le caractère formateur de l'expérience dans les pays d'expression française. Longue tradition académique oblige, l'éducation scolaire est avant tout axée sur l'acquisition de connaissances. Les travaux pratiques ou les stages sont considérés comme supports d'apprentissage permettant l'application d'un savoir transmis et non comme un mode de formation à part entière. Tout se passe comme si les connaissances s'élaboraient indépendamment de l'expérience, permettant pourtant leur application ultérieure. Ce didactisme, issu d'un héritage rationaliste, impose une conception éducative qui ignore le sujet qui apprend et ses pratiques.  

Au niveau des représentations sociales, les activités bénévoles ont aussi une image d'amateurisme ou de hobbies. Passe encore de reconnaître les acquis de l'expérience professionnelle, mais comment pourrait-on faire des apprentissages "sérieux" dans un tel cadre? C'est nier le professionnalisme qui caractérise souvent l'exercice d'une activité bénévole. Il suffit de penser par exemple aux sapeurs-pompiers, à la Croix Rouge Française ou aux responsables d'activités sportives ou de jeunesse. Il existe enfin des obstacles sociaux, dans la mesure où la prise de conscience et la valorisation des compétences acquises dans le cadre du bénévolat peuvent générer des demandes de professionnalisation. Certains dirigeants associatifs craignent que cette démarche fasse aussi perdre aux bénévoles le feu sacré de leur bene volo.  

Voilà pourquoi nous parlons de " blanchiment des acquis de l'expérience bénévole ". Il ne s'agit pas de fonds douteux, nous voulons déterrer le " trésor qui est caché dedans" pour reprendre le titre d'un rapport de Jacques Delors publié dans le cadre européen du développement de la société cognitive et de la formation tout au long de la vie. Tout comme les enfants du laboureur de La Fontaine, un travail sur soi est nécessaire pour le trouver, parce que les savoirs, contrairement à ce que pensent parfois les formateurs et les organisateurs, ne sont souvent pas explicites. Cela peut passer par des démarches d'exploration personnalisée comme les bilans de compétences, l'autoanalyse ou l'autoconfrontation avec d'autres professionnels ou un accompagnateur.  

Une place à part est à faire au "portefeuille de compétences". "Mieux qu'un CV, un portfolio", tel est le titre du livre de Ginette Robin, l'une des mères porteuses québécoises de cette démarche. Moyen de conserver des preuves, des traces des expériences bénévoles, il a aussi les fonctions de collecte, de conservation et de mémoire active de mise en valeur des acquis. L'idée est que ces traces pourront être produites dans toutes les circonstances de la vie où on pourra avoir besoin d'une reconnaissance professionnelle, sociale ou personnelle (recherche d'emploi, validation des acquis de l'expérience, entrée en formation,…).  

De nombreuses expériences réussies ou en cours comme la "valise de talents" (proposée par un Conseil Général pour des ressortissants du RMI), l'action auprès des bénévoles d'ARIA (menée avec l'IRIV et soutenue par l'Action Sociale des Armées), le "carnet de vie du bénévole" (expérimenté par le Comité National Olympique et Sportif français) ou le "classeur des expériences bénévoles" (proposé par le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative) témoignent, si besoin était, de la pertinence et de l'intérêt de cette approche originale, dont le slogan pourrait être, en paraphrasant Jacques Aubret, "mieux se reconnaître pour se faire reconnaître".  

Comme la Validation des Acquis de l'Expérience (VAE) ouverte par la loi de modernisation sociale de janvier 2002, elle constitue une des têtes de pont du projet éducatif de "formation tout au long de la vie" souhaitée par l'Europe. Mais son originalité réside principalement ment dans sa finalité individuelle. Formaliser et verbaliser les acquis de son expérience sont en effet des voies à part entière de développement des compétences individuelles. On peut espérer que celui qui entre dans ce mode de gestion proactif de ses apprentissages ait des chances d'en sortir "plus grand que lui-même".    


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