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Numéro 26 - rve d'Espagne - juin 2014

Marta Guitart Sanchis, chargée de mission à l'iriv, Master en Sciences Politiques (Université de Barcelone) et en Sociologie (Université de Paris 7- Diderot)

Réconciliation officielle et mémoire historique

La Guerre civile espagnole (1936-1939) et la dictature du Général Franco (1939-1975) ont provoqué des rivalités fratricides, entrainant des milliers de morts et de disparus. La transition  initiée après la mort du dictateur par le premier ministre Adolfo Suárez  est  présentée comme un  modèle. Elle a réussi un  passage à la démocratie sans violence, par la loi, avec le soutien de toutes les forces politiques, élites issues du régime franquiste et opposants communistes.

La Loi d’Amnistie de 1977 (1) a permis la libération des prisonniers politiques. Elle a aussi bénéficié aux responsables des crimes commis pendant la Guerre civile et la transition (2). Une « réconciliation officielle » a permis une transition pacifique mais aussi un oubli de l’histoire récente du pays (crimes,  morts,  disparus…). La Guerre civile a été pendant longtemps un sujet tabou auprès de la population espagnole, comme dans les institutions.

Le XXIème  siècle a marqué un changement radical dans la présentation de l’histoire de cette période. En octobre 2000, le contenu d’une fosse commune est exhumée dans la région de Castilla y Leó. Les dépouilles de treize soldats républicains fusillés par des phalangistes en 1936 y reposaient. Les familles ont demandé à pouvoir identifier leurs disparus. L’Association pour la récupération de la mémoire historique a été créée (3).

Le concept de “mémoire historique” est apparu dans le débat public. Les institutions ont été interpellées à plusieurs reprises pour permettre l’exhumation d’autres fosses communes et obtenir des réparations. L’opinion publique a demandé que soient établies les responsabilités, que les auteurs des crimes du franquisme soient jugés et que d’anciens franquistes soient exclus des responsabilités publiques (4).

Les institutions et les partis politiques (surtout le Parti populaire) ont été réticents. La « réconciliation officielle » avait permis une transition sans violence pour pouvoir régler des affaires plus urgentes et envisager le futur de l’Espagne. En 2007, sous le gouvernement socialiste, est approuvée la Loi de la Mémoire historique (5). Elle offre une reconnaissance aux victimes de la Guerre civile et de la dictature, mais sans s’occuper de nouvelles fosses communes. L’ARMH a considéré que la mémoire des victimes, comme le droit à la vérité et à la justice, étaient bafoués. Le gouvernement de droite, élu en 2011, a introduit une dérogation à la Loi de la Mémoire historique mais sans lui attribuer de budget en 2013.

Le concept de mémoire historique considère qu’il ne faut pas oublier l’histoire récente de l’Espagne. Les familles des victimes peuvent rechercher leurs disparus (pères, oncles, grands-pères, maris…) afin de connaître la vérité et d’obtenir des réparations. Faire respecter les droits humains est pour la société espagnole une nouvelle étape démocratique. Jusqu’à présent, toute tentative pour chercher à découvrir ce qui était caché était vouée à l’échec, à l’image de toutes les actions entreprises par le juge Garzón depuis 2008 (6).

Il faut connaître l’histoire pour ne pas répéter ses erreurs, comprendre le présent, et bâtir le futur. La mémoire historique est essentielle pour construire une démocratie respectueuse et cohérente et pouvoir envisager une véritable réconciliation entre les citoyens.

(1)  Loi du 17 octobre 1977, promue pour http://www.memoriahistorica.org.es/joomla/
(2) «entre les quinze décembre 1936 et le quinze juin 1977 », art. 1b ; ainsi, l’article 2.f déclare objet de l’amnistie « les délits commis par les fonctionnaires et agents de l’ordre publique contre l’exercice des droits des personnes ».
(3)  ARMH - http://www.memoriahistorica.org.es/joomla/
(4)  par exemple Manuel Fraga, ministre du régime –de 1962 à 1969- a présidé le gouvernement régional de la Galice du 1989 au 2006
(5) Loi 52/2007, du 26 décembre, par laquelle se reconnaissaient et élargissent des droits et s’établissent des mesures en faveur de ceux qui ont subi persécution ou violence durant la guerre civile et la dictature :  http://noticias.juridicas.com/base_datos/Admin/l52-2007.html
(6) Plusieurs de ses dossiers pour identifier et punir les coupables de crimes commis pendant la guerre civile ont été reportés sine die.



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