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Numéro 27 - rive psychanalytique - décembre 2014

Diomar Gonzalez Serrano, psychologue, Master en Psychanalyse (Université de Paris 8), secrétaire générale adjointe de l'iriv

Détours, parcours du désir

On associe le détour à un parcours ou un chemin qui erre vers une chose plutôt que d’en approcher directement, qui s’éloigne du chemin le plus direct pour se rendre à un endroit donné. Cette dynamique, dans un cadre psychanalytique, se questionne sur le rapport au désir et ses voies pour atteindre l’objet du désir. Mais dans quel cas peut-il y arriver ? Pour y répondre, nous nous appuierons sur certains éléments que la psychanalyse apporte sur le désir et ses parcours. 

Reprenons la théorie de Freud sur le désir et ses objets. Le désir du sujet vient de la rencontre de l’enfant – lorsqu’il est le plus démuni - avec la personne qui lui prodigue soins, tendresse, protection et amour, c'est-à-dire, en général, la mère. Postérieurement, la libido cherchera à retrouver cette première trace de satisfaction (1). Cependant cette quête sera insatisfaite car il n’obtiendra pas la répétition de sa première expérience, car elle est impossible à répéter et en conséquence, elle est introuvable (2). C’est pour cela que cette expérience est considérée comme quasi mythique.

Freud parle de la pulsion comme d’une énergie libidinale qui se déplace, grandit et cherche à se libérer, à s’exprimer. Or cette énergie agite le corps et prend le pas sur l’émergence du choix de l’objet de satisfaction sexuel et d’amour. L’objet d’amour est choisi pour se substituer à la personne qui lui a donné les premiers soins, la mère ; sinon il cherchera cette satisfaction dans sa propre personne, devenue objet narcissique. Plus tard, Freud a formalisé les origines du désir, comme étant la conséquence de l’opération psychique concomitante entre le complexe d’Œdipe et le complexe de castration.

Selon Freud, pour que l’enfant devienne un sujet désirant, il doit assumer la loi fondamentale de l’interdiction de l’inceste. Il lui faut renoncer à l’objet dont découlait son plaisir, c'est-à-dire sa mère, ou son substitut (3).Contraint à ce renoncement, l’enfant se confronte à sa propre castration, et  devenir un être en manque, sujet de désir à la recherche de son objet de désir. Chez le garçon la substitution de cet objet primordial interdit, donne lieu au désir d’une autre femme. Chez la fille,  une féminité normale, tend à vouloir attendre un enfant de son père, et plus tard, d’un homme différent de lui.

Si l’interdit de l’inceste n’est pas claire, apparaissent les voies de l’homosexualité, ou de la perversion (dans le cas du sadomasochisme). Mais pour Freud, la libido peut retrouver la satisfaction de son désir de deux manières. Soit les pulsions nées du refoulement donnent lieu à l’idéal du moi, fondés sur des idéaux parentaux et collectifs. Soit la satisfaction de la libido passe par le travail de la sublimation (4).

Par rapport à ce refoulement, le désir peut s’exprimer dans le corps, au moyen du symptôme, et par  les hallucinations, dans les rêves. Lacan, dans son séminaire « du Désir et son interprétation » (5), livre une analyse magistrale sur le désir en se fondant sur l’œuvre de William Shakespeare « La tragédie d’Hamlet, prince de Danemark ». Lacan considère cette oeuvre non comme un cas clinique, mais une source de connaissance sur le désir et son interprétation (6). Lacan centre son attention sur « les hésitations d’Hamlet à accomplir la vengeance dont il est chargé : venger la mort de son père, en tuant son oncle Claudius et en faisant que la reine modère sa luxure » (7).

On pense que le désir est ce qui pousse, qui attire, qui emmène le sujet à agir de manière décidée, puis à assumer les conséquences de son acte. Or, Lacan trouve que, chez Hamlet, tout se passe à l’envers. Il détourne, ajourne, décale, renvoie son acte au lendemain. Lacan souligne que Hamlet n’a pas encore trouvé la place de son propre désir. Il explique que la fonction du père, c'est-à-dire, de celui qui sépare l’enfant du giron  maternel, n’a pas  encore vraiment opéré. Hamlet est encore assujetti à sa mère. C’est pour cela qu’il n’a pas encore fait le deuil de son père, et trouvé sa place auprès d’Ophélie. Il manquait à Hamlet de trouver son propre manque. Il a pu finalement se retrouver au fur et à mesure qu’il a pu interroger le désir d’autrui (La bravoure de Fortinbras, le deuil assumé par Laërte auprès de la mort d’Ophélie). Il n’a pu commettre l’acte tragique qu’après avoir été mortellement frappé au bras et avoir reconnu son propre désir.

Le désir du sujet est soumis à une perte inaugurale, qui a son pendant, le deuil. C’est de la renonciation à cet objet primordial d’amour, que naît la viabilité des autres substituts du désir. « Que savons-nous de notre propre désir ? » On peut aussi se demander : «  La satisfaction de ce que nous souhaitons obtenir est-elle viable ? Dans quel cas ne l’est-elle pas ? Que faisons-nous alors? Quels sont les désirs que nous laissons subsister sous forme de rêves ? Quels sont ceux que nous voudrions voir aller au-delà du rêve ? Par rapport à ce que nous désirons, qu’avons-nous hâte de voir réalisé? Il ne faut pas oublier l’ultime question : « De quels désirs finissons-nous par nous détourner ? 

(1)  Chez Freud, Le désir est référ à  la psychanalyse « … l’image mnésique d’une certain perception reste associe avec la trace  mnésique qui resté associée à la première expérience de satisfaction expérimenté par  l’être humain … une motion psychique qui cherchera à réinvestir l’image mnésique de cette perception et même d’évoquer cette perception et même d’évoquer cette perception…et même de rétablir la situation de la premier satisfaction…  ce motion c’est le désir» LAPLANCHE , Jean  ET PONTALIS J.B. Vocabulaire de la psychanalyse. « Désir ». PUF.  2004. P. 121
(2) «… chaque fois que l’objet originaire d’une notion de désir s’est perdu par ouvre d’un refoulement, il se trouve d’habitude subrogé par une série interminable d’objet substitutifs, aucun  desquels toutefois ne satisfait pleinement. Peut-être cela nous explique le manque de permanence dans l’élection de l’objet, la –faim de stimulant- qui si souvent caractérise la vie amoureuse des adultes. » FREUD, Simon (1.914).  En La vie sexuelle. Paris : Presses Universitaires de France. 2005. P.64
(3) « Cette opération de substitution se produit par le mécanisme de symbolisation dans lequel, grâce à métaphore faite (inconsciemment), un objet en représentante un autre…  ». FREUD, Sigmund 193.  La disparition du Complexe d’Oedipe. La Vie sexuelle. Paris : Presses Universitaires de France 2005.
(4) La sublimation est un processus qui concerne la libido d’objet et consiste en ce que la pulsion se dirige sur un autre but, éloigné de la satisfaction sexuelle; l’accent est mis sur la déviation qui éloigne du sexuel. L’idéalisation est un processus qui concerne l’objet et par lequel celui-ci est agrandi et exalté psychiquement sans que sa nature soit changée” Sigmund FREUD. 1914. La vie Sexuelle. Pour introduire le Narcissisme”. Edition  PUF. p.98
(5) Lacan, Jacques (1958-1959). Le séminaire, Livre VI : Le désir et ses interprétations. Inédit. (En Ligne). 2012. Disponible en http://malaguarnera-psy.wifeo.com/seminaire-vi-désir-et-son-interpretaion.php.
(6) « Hamlet bien entendu, n’est pas un être réel, c’est un drame qui permet de situer, si vous volez, comme une plaque tournante où se situe un désir, où nous pourrons retrouver tous les trais du désir, c’est à dire l’orienter, l’interpréter dans le sens de ce qui se passe à l’insu d’une cure, d’un rêve… »Ibid.P.488
(7)  Lacan, Jacques (1958-59) Op.cit. P. 406



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