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Numéro 27 - rive européenne - décembre 2014

Sergeij Gabrscek, président fondateur de CPZ

« L’esprit européen » , détour slovène

La Slovénie est entrée dans l’Union européenne en 2004 avec de grands espoirs et une majorité écrasante de votes positifs au referendum. Ce vote a confirmé le  plébiscite qu’avait suscité l’adhésion à l’Union européenne. Pour beaucoup d’entre nous, il confirmait que nous étions le premier pays de l’ex-Yougoslavie à nous éloigner des Balkans. Ce fut un petit pas pour l’Europe mais un grand pas pour la Slovénie. Rejoindre la zone Euro trois ans plus tard fut une suite logique et la confirmation de la bonne santé du système financier slovène.

Quand la crise économique a commencé, les Slovènes ont pensé qu’elle ne les concernait pas, comme si nous étions une île et que nous ne pouvions pas être atteints. Ce ne fut, bien sûr, pas le cas. Les banques avaient contracté des dettes beaucoup trop importantes pour que leurs dirigeants puissent les rembourser et cela affecta le système financier. Comme membre de la zone Euro, nous aurions pu subir le contrôle sévère de l‘Union européenne. La “troïka” qui a assommé de nombreux pays du Sud avec ses mesures d’austérité draconiennes a frappé à notre porte mais la Slovénie a réussi à y échapper en s’engageant à prendre des mesures d’économie. L’Etat Providence et les bénéfices sociaux auxquels nous étions habitués ont été lentement démantelés.

Tout est apparu comme un tsunami inattendu : le chômage très élevé chez les jeunes qui cherchaient leur premier emploi, la diminution des droits sociaux, les coupes sombres dans les dépenses publiques pour diminuer la participation de l’Etat. Est-ce que cela nous arrive vraiment à nous ? Ce fut comme un réveil brutal, montrant les limites de notre liberté. Nous étions devenus membres de l’Union, pour le meilleur et pour le pire.

Les situations critiques incitent toujours à s’interroger. Etait-ce vraiment une bonne idée de rejoindre l’Union européenne et en particulier l’Eurozone? Même si le nombre d’Europhiles a baissé, la majorité des Slovènes reste en faveur de l’Europe. Les avantages sont tangibles et nous avons à présent l’impression d’avoir toujours été membres.  Nous avons réalisé des projets, construit des infrastructures, créé des réseaux entre individus et institutions, tissé des liens forts entre les pays. Tout cela a favorisé une coopération entre institutions issues de pays différents, un espace commun d’enseignement supérieur et de recherche, une collaboration entre établissements éducatifs et une mobilité des individus. Un « esprit européen » est né, nourri par le sentiment d’appartenance à une communauté plus grande même si le processus de décision semble parfois éloigné. La Slovénie a toujours été une bonne élève, réalisant avec application toutes les directives venues de Bruxelles et précédant même dans certains domaines les autres pays.

Est-ce que la crise a atténué « l’esprit européen » en Slovénie ? Oui et non. D’un côté les gens sont plus sceptiques sur les initiatives bruxelloises. Les questions économiques suscitent plus de scepticisme. Les mesures d’austérité ont été dramatiques pour la fabrique sociale ? ; d’autant plus que le système, qui avait bien fonctionné jusque-là, a été démantelé. On a souvent l’impression que l’Union européenne se résume au simple marché unique et se réduit à « quatre libertés » de circulation - pour les personnes, les biens, les services et le capital. Mais, à cause des restrictions imposées à certains pays, cela se réduit à la seule liberté de circulation du capital toujours à la conquête de nouveaux marchés.

La place des individus a été malmenée avec les pressions exercées sur certains pays.  Il faut ouvrir ses frontières aux investissements étrangers, changer la législation et s’adapter aux besoins du marché, en particulier en réduisant les droits sociaux existants, Des réactions de rancœur sont apparues peu à peu, suivies par un sentiment de désespoir, terreau fertile pour la renaissance des nationalismes. Les gens demandent que les choses changent et sont prêts à adhérer à n’importe quelle idée pourvu qu’on leur fasse miroiter un changement, un futur meilleur, même si l’espoir est mince. Il suffirait de changer de nom et de personnes. Comment expliquer autrement qu’un parti formé seulement six semaines avant les élections européennes puisse obtenir 36% des suffrages ?

« L’esprit européen » est-il toujours présent ? Il l’est indubitablement. Peut-être pas aussi fort et indiscutable qu’avant l’adhésion mais les avantages l’emportent sur encore les inconvénients. Il est presqu’impossible d’imaginer que l’on ne puisse pas circuler librement en Europe, que les frontières soient à nouveau érigées et que nous soyons encore fermés sur notre petit monde. A présent que l’esprit est sorti de la bouteille, il est impossible de le remettre à l’intérieur. La crise n’a heureusement pas détourné les Slovènes de l’idéal européen.

(1) CPZ –  le Centre pour la promotion de la connaissance est une organisation de recherche et de développement slovène. Il est spécialisé dans l’évaluation, l’analyse et le développement de nouveaux systèmes d’éducation, évaluation et certification, ainsi que dans l’organisation et le contrôle de qualité des processus éducatifs. http://www.cpz-int.si/



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