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Numéro 27 - rive d'Argentine - décembre 2014

Federico Mantel, diplômé en droit (Université de Buenos Aires) et en sciences politiques (Université de Montesquieu à Bordeaux)

Détours du chemin et quête de liberté

Hermann Hesse disait, dans son célèbre Demian, que «la vie de chaque homme est un chemin vers soi-même, l’essai d’un chemin, l’esquisse d’un sentier » (1). Combien faut-il de détours sur «  le chemin » ? A-t-on toujours la possibilité de reconstituer à chaque pas un sens, et ainsi assurer une continuité à son existence? Voici quelques éléments de  réponse, théoriques, à cette problématique.

Si, avec Sartre, « l’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous » (2), la liberté, de ce fait, devient une composante ontologique consubstantielle et primordiale de l’être humain.

Hannah Arendt écrit, que «chaque nouveau-né arrivant à l’existence revêt un caractère miraculeux et glorieux, sauveur du monde et de la ruine sociale naturalisée». Cette naissance est en elle-même une «expérience unique omni-compréhensive et originelle capable de conférer une foi réelle et de donner de l’espoir à la condition humaine. » (3)

Les détours peuvent être un moyen de contourner les structures et conditionnements, mais aussi la tradition, la culture et les  obligations, imposés par la société. Ils sont une manière d’échapper à l’aliénation et à la dépersonnalisation de l’être humain. Cette idée de la vie comme un chemin,  témoigne de l’impérieuse nécessité de l’homme de pouvoir répondre à l’immémoriale recherche de sens face à la mort et à la caducité de l’existence.

Une citation de Heidegger s’impose, en particulier sa métaphore du pont. Il écrit: “Toujours et d'une façon chaque fois différente, le pont ici ou là conduit les chemins hésitants ou pressés, pour que les hommes aillent sur d'autres rives et finalement, comme mortels, parviennent de l'autre côté. De ses arches élevées ou basses, le pont saute le fleuve ou la ravine: afin que les mortels […] toujours en route déjà ver le dernier pont, s'efforcent au fond de surmonter ce qui en eux est soumis à l'habitude ou n'est pas sain pour s'approcher de l'intégrité du Divin.  (4)»

Chemins, ponts : ces variations stylistiques  traduisent depuis la nuit des temps, la tragédie et l’indigence de la réalité de l’homme. Concernant l’auteur d’Être et temps, Rüdiger Safranski nous rappelle que l’analyse heideggérienne de l’être humain « cherche seulement à montrer que nous pouvons construire des ponts parce que nous pouvons faire l'expérience de l'ouverture, des distances et des abîmes -au-dessus de nous, autour de nous, en nous-, et savons que vivre signifie franchir des abîmes et poursuivre notre passage ». (5)

Il n’existe donc pas d’éventuel chemin inexorablement pré-déterminé et préalablement con-figuré, dont l’esprit humain pourrait se détourner. Il s’agit, en effet, toujours de la question immuable et sempiternelle de quête de liberté qui ne connaît pas de détours.

 

(1)  Hesse (Hermann), Demian, Histoire de la jeunesse d'Emile Sinclair, Paris, Editions Stock, 2004, p. 27
(2)  Sartre (Jean-Paul),  Saint Genet comédien et martyr, Paris, Tel-Gallimard, 2010, p. 63.
(3)  Arendt (Hannah), Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 278: « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, « naturelle », c'est finalement le fait de la natalité, dans lequel s'enracine ontologiquement la faculté d'agir. En d'autres termes: c'est la naissance d'hommes nouveaux, le fait qu'ils commencent à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance. Seule l'expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l'espérance, ces deux caractéristiques essentielles de l'existence que l'antiquité grecque a complètement méconnues […]. C'est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur « bonne nouvelle »: « Un enfant nous est né »
(4) Heidegger (Martin),  « Bâtir, habiter, penser », in Heidegger, Martin, Essais et conférences, Paris, Tel-Gallimard, 1992, p. 181
(5) Safranski (Rüdiger), Heidegger et son temps, Paris, Bernard Grasset, 1996, p. 449/450

 



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