← Retour

Numéro 28 - rive éducative - juin 2015

Sabine Dehoue Beraud, professeure en économie et gestion

Equilibre et déséquilibre à l’École

L’équilibre évoque l’harmonie que chacun recherche entre vie familiale, cercle d'amis, loisirs et vie professionnelle. Ce vocable connaît diverses définitions en fonction des domaines visés, l’alimentation, le politique, l’économie, la chimie, la médecine, la chorégraphie, le cirque, l’écologie, les relations personnelles, professionnelles ou entre générations, etc. On le décrit parfois comme l’état de repos, la position stable d’un système obtenu par l’égalité de deux forces, de deux poids qui s’opposent. (2)

L’équilibre peut être défini comme la juste proportion entre des éléments qui s’opposent entre forces antagonistes. Il peut être la juste répartition d’éléments nutritifs dans le cadre de l'adoption de bonnes habitudes alimentaires. Il peut être obtenu par un exercice corporel de la tête et des mains servant d’appui au sol. Dans cet article, nous avons  choisi de traiter de l’équilibre dans les relations au sein des établissements scolaires entre professeurs et administration, mais surtout entre professeurs et élèves.

Jadis considérée comme lieu d'équilibre et de mixité, facilitateur d'intégration, l'école n'a jamais été aussi déséquilibrée. L’institution est méconnaissable, dans nombre d'établissements scolaires, l'équilibre est rompu. La profession à laquelle j'ai consacré plus de vingt ans était une vocation. Mais je fus, comme d'autres avant moi, confrontée aux pires difficultés à mesure que se dégradaient mes conditions de travail. Pour de nombreux professeurs, le travail est si éprouvant, générateur de fatigue nerveuse, d'anxiété, voire de dépression qu’ils n’ont d’autre choix que de « jeter l’éponge ».

Désormais, dans ces sanctuaires devenus « prolongement de la cité » se retrouvent tous les travers et problèmes sociétaux. Ainsi, les élèves remettent en cause l'autorité des professeurs et sont confortés dans leur attitude par le fait que l’on a trop insisté sur leurs droits en faisant abstraction de leurs devoirs, tel un célèbre petit guide vert (3). Sur le terrain, force est de constater que dans la plupart des litiges, c’est désormais la bible des parents les plus procéduriers ainsi que des élèves les plus rebelles. Les premiers n’hésitent pas à remettre en cause l'institution tandis que les administrations sont de plus en plus frileuses à prendre des sanctions. Il n’y a plus d’action coordonnée ni de consensus, pourtant indispensables, entre les différents acteurs censés détenir l’autorité, ce qui a aggravé les difficultés.

Devenue lieu de bien des déséquilibres, « L’école est priée de faire plus avec moins (…) Plus d’élèves d’un côté (…) Moins de profs, de l’autre, depuis qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite n’est plus remplacé…» (4). Face à des incivilités de plus en plus nombreuses, le personnel d'encadrement se raréfie. Malgré une hétérogénéité croissante des niveaux entre les élèves, les effectifs des classes sont en hausse. De nouvelles incivilités apparaissent que les règlements intérieurs obsolètes sont incapables de bien sanctionner. L’inadéquation est flagrante entrel'acte et la sanction. Ainsi l'auteur de graffitis fait l'objet d'un énième rapport d'incident au lieu d'être mis en demeure de les nettoyer.

Ce n'est pas une tâche aisée de vouloir enseigner à des jeunes. Quand les gardes fous n’existent plus, que la graduation des sanctions est inefficace, la situation devient terrible. Les démissions augmentent donc, ainsi que le nombre de postes non pourvus. En effet, les candidats aux concours sont moins nombreux et l'éducation nationale peine à recruter des enseignants par les canaux inhabituels (5). La vie d’un enseignant peut parfois devenir cauchemardesque. Dans l’enceinte de nombreux établissements, les actes de violence sont en hausse et le climat, loin d’être studieux, pose problème.

Les imperfections du système et plus particulièrement l’orientation des élèves expliquent ce cercle vicieux. Les solutions viendront d’une meilleure adéquation des programmes au marché du travail et de la mobilisation de tous les acteurs de l’éducation nationale. Actuellement, les victimes collatérales sont autant les enseignants que les élèves dont la majorité dit n’avoir pas choisi la spécialité dans laquelle ils sont inscrits. Comment peut-on espérer que des jeunes orientés d’office dans des sections qui n’ont rien à voir avec leur projet professionnel aient envie de travailler, soient psychologiquement apaisés, et trouvent du sens aux apprentissages ? 

En outre, les débouchés de ces filières par défaut sont souvent des métiers qui ne sont pas valorisés. Dans notre société la culture des métiers oppose l’intellectuel au manuel, dévalorise les métiers de sueurs et de callosités des mains. Pourtant, nous avons besoin de maçons, de frigoristes, de boulangers, de pâtissiers, de bouchers… Les activités manuelles, les ateliers, les travaux pratiques, devraient occuper une place importante dans la formation de nos jeunes. Le monde du travail évolue tellement vite qu’entre le choix de formation et la fin du parcours, il arrive que l’orientation ne soit plus d’actualité.

L’éducation nationale doit trouver le juste équilibre entre les objectifs de transmission des apprentissages, le goût de l’effort, le respect des institutions et l’adhésion au pacte national qui fait l’unité de la nation. Elle doit jouer son rôle en nous donnant les moyens indispensables à la réussite de notre mission en sortant des logiques budgétaires et des objectifs (6). Remettre l’élève au cœur du système, est indispensable. La question de l'équilibre est donc fondamentale et l’école n’y échappe pas.

(1) Auteure de La prof se cache pour déprimer, Editions Edilivre, Paris, 2014.
(2) Dictionnaire Larousse, Paris, 2015
(3) Valérie Piau, Le guide Piau. L’étudiant, Paris, 2014- Plus qu'un recueil de droits des élèves, l'ouvrage propose notamment des lettres types de contestation.
(4) Alternatives économiques/Hors-Série n° 94, 4ème trimestre 2012, « Les chiffres 2013 »
(5) On propose ainsi, sans formation, à certains demandeurs d’emplois d’enseigner.
(6) Un objectif comme la conduite de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat par exemple.



devenez contributeur des rives d'iriv

← Retour