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Numéro 29 - rive cinéphile - décembre 2015

Antoinette Guy, cinéphile

Retour au cinéma

Le retour évoque aussitôt les épopées antiques, l’Odyssée d’Homère ou l’Enéide de Virgile qui inspirèrent les maîtres du peplum italien (1). Dans les épopées grecque et romaine, le héros quitte Troie mais son voyage s’étire en longueur à cause des obstacles imaginés par les dieux. Ulysse, comme Enée, ne se décourage pas. L’un rentre à Ithaque, où il retrouve sa femme et son fils, puis il tue de son arc qui veut l’en empêcher. Le Troyen a quitté définitivement sa patrie avec son père et son fils, il fondera la nation romaine par les armes et le mariage. Nous verrons que certains réalisateurs ont réécrit ce scénario ou bien envisagé le retour sous un angle différent.

La Rivière sans retour (2) raconte la périlleuse odyssée de Kaye/Marylin Monroe, de Matt/Robert Mitchum et de son fils Mark. Les héros ont des vies semées d’épreuves. Mark a perdu sa mère. Kaye, pauvre chanteuse de saloon, s’est occupée de lui (3). Matt sort de prison et revient chercher son fils. Les obstacles au bonheur de cette famille recomposée sont les Peaux-Rouges, l’eau déchaînée et le fiancé de Kaye. Le fils tuera ce dernier pour sauver son père (4). Comme dans les mythes, la transgression scelle la naissance d’un nouveau lignage qui doit se projeter dans l’avenir car le passé a été effacé.

Le retour à la vie civile d’un soldat est le sujet de nombreux films. Dans l’Odyssée, le guerrier Ulysse avait exterminé tous les prétendants de Pénélope afin de retrouver sa place dans le monde qu’il avait quitté. Voyage au bout de l’enfer (5) montre que le retour est quasi impossible pour les rescapés de la guerre du Vietnam (6), ce que la roulette russe symbolise parfaitement. Rambo (7) transforme un soldat d’élite en marginal rejeté par une société hostile qui se vengera en retournant ses armes contre elle. Johnny got his gun (8) met en scène un soldat privé de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, et amputé de ses quatre membres.

Dans une société tournée vers le futur et le progrès, le retour peut-il être constructif (9) ? Certaines œuvres d’anticipation ou de science-fiction, jouant sur les temporalités, le rendent salutaire. Ainsi, il transforme un présent décevant quand Marty Mc Fly de Retour vers le futur (10) modifie la vie ratée de sa famille. Son intervention dans le passé de ses parents les rendra heureux. Le soldat envoyé du futur dans Terminator (11) doit protéger Sarah Connor du robot chargé de la tuer. Le film d’anticipation devient un thriller romantique quand l’homme du futur tombe amoureux de la femme du passé. De leur passion naîtra l’enfant choisi pour sauver l’humanité en 2029.

La sensation de « déjà vu » est une autre façon d’envisager le temps non plus linéairement mais selon des cycles, selon les théories de la réincarnation ou de la métempsychose (12). Ce ressort de nombreuses comédies romantiques est utilisé de manière originale dans Droit au cœur (13). Un veuf tombe amoureux d’une femme, qui a reçu le cœur de son épouse défunte. Le sentiment de connaître l’autre, l’explication du coup de foudre est ainsi revisité. En 1990, deux films anglo-saxons, le britannique Madly, Deeply, Truly et le canadien Ghost , évoque qu’à la mort de l’être aimé, l’amour perdure et rend l’absent toujours présent (14). C’est le cœur du célèbre Eternel retour (15) dont le scénario écrit par Jean Cocteau s’inspirait de l’histoire  médiévale de Tristan et d’Iseut.

Le retour est un thème inépuisable au cinéma. Il reprend les beaux textes de la littérature, comme les épopées gréco-latines ou un grand mythe médiéval. Il soulève aussi des questions existentielles : le retour invite à nous interroger sur notre place dans la société ou dans le présent. Comment se préparer à l’avenir ? Un jour sans fin (16) développait cette réflexion sous forme de fable. Le jour où un présentateur météo revit chaque matin la même journée il doit s’interroger sur sa vie et lui redonnera alors un sens.

(1) Kirk Douglas incarne Ulysse dans le film éponyme de Mario  Camereini sorti en 1954. Steve Reeve joue Enée dans Les Conquérants héroïques de Giorgio Rivalta en 1962.
(2)  The River of no Return sortit en 1954, c’est le seul western d’Otto Preminger et l’un des premiers films en Cinémascope. Ce nouveau procédé fut imaginé par les studios hollywoodiens pour contrer la concurrence croissante de la télévision.
(3) le village est entièrement dédié à la ruée vers l’or. Son fiancé Harry a gagné au poker une propriété minière, espoir de pouvoir changer de condition sociale et d’être quelqu’un.
(4)  cet homme est le fiancé de Kaye qui voulait retrouver sa place auprès d’elle. Comme dans les mythes, le fils reproduit le crime qui avait jeté son père en prison, une balle dans le dos de son adversaire.
(5)  film de Michael Cimino (1978)
(6)  John Savage (« Steve ») a été mutilé des deux jambes, Christopher Walken (« Nick »), resté à Saïgon, gagne sa vie en jouant à la roulette russe. Seul De Niro (« Mike ») parvient à surmonter ses traumatismes.
(7) film de Ted Kotcheff (1982)
(8)  film de Dalton Trumbo (1971)
(9)  cette « marche en avant » prend la forme d’une carte géographique, projection d’un avenir maîtrisé par le héros. Kaye dans The River with no return en déploie une pour « voir » ses rêves à venir. Dans nombre de films policiers, les enquêteurs l’affichent dans leur bureau, leur chambre d’hôtel pour matérialiser cette prise sur l’avenir car ils prévoient l’itinéraire du criminel.
(10) film de Robert Zemeckis (1985)
(11) Film de James Cameron (1984)
(12) Le cinéaste anglais est Anthony Minghella, le canadien Jerry Zucker

(13) Film de Bonnie Hunt (2000).

(14) Film de Jean Delannoy (1943)

(15) Les civilisations égyptiennes, grecques et latines imaginent que la mort sépare l’esprit du corps. Dans la religion hindoue, l’être doit vivre des expériences qui le feront évoluer spirituellement, certains l’analysent comme la « théorie des deux soi » où le « moi » serait une transmigration du « soi ».

(16) Film de Harold Ramis (1993)



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