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Numéro 32 - rive d'Angleterre - mai 2017

Pr Dr Jenny Phillimore, professeure en sociologie à l'Université de Birmingham, directrice de l'Université de SuperDiversité

Demain pour les Britanniques européens : l’espoir en attendant l’optimisme

Ces vingt dernières années, j’ai travaillé sur les problèmes de justice sociale en essayant d’améliorer la politique d’intégration des migrants. Je suis d’ordinaire une optimiste. Quand je me concentrais sur l’injustice sociale et les inégalités, c’était toujours avec un esprit constructif, en soulignant les opportunités et en essayant de construire une société plus juste. Tout chercheur en politique sociale sait combien il est difficile de promouvoir le changement, particulièrement dans un domaine comme la migration - sujet politiquement sensible avec des médias, des dirigeants politiques et une opinion publique pris dans un cercle vicieux. Pourtant les travaux réalisés avec mes collègues ont pu faire une différence : nous avons empêché les services du Ministère de l’Intérieur britannique de changer le lieu de résidence des demandeuses d’asile enceintes après leur accouchement (à la 36ème semaine), nous avons soutenu des organisations locales sur le terrain pour qu’elles obtiennent des financements, nous avons créé un outil d’intégration pour les autorités locales travaillant avec des réfugiés et nous avons identifié des exemples de bonnes pratiques pour inciter les décideurs politiques à améliorer leur accompagnement et l’intégration des publics migrants. Même ces petites changements n’étaient pas faciles mais ils ont été possibles parce que notre travail était pris au sérieux.

Avec le  Brexit et les élections de Trump, je suis pour la première fois de ma carrière universitaire pessimiste sur l’avenir. Les universitaires  qui connaissent la politique, ont travaillé d’arrache-pied avant le Brexit pour expliquer que l’immigration ne serait pas radicalement différente si nous quittons l’Union européenne. Ce  point était utilisé par les politiciens menant la campagne pour le Brexit, accusant l’Europe des forts taux de migration vers le Royaume-Uni ces dernières décennies, niveaux qui n’ont pas baissé malgré la politique anti-migration de notre gouvernement. En dépit de nos données empiriques et de notre analyse critique, nous étions comparés par certains politiciens aux scientifiques qui ont développé le programme eugéniste nazi. Des photos de réfugiés traversant l’Europe ont été utilisées pour démontrer que le Royaume-Uni serait envahi par des réfugiés si nous restions dans l’Union.

La post-vérité était utilisée pour diffuser des mensonges éhontés - les données et les preuves étaient niées. Nous nous retrouvons au Royaume-Uni face à un Brexit dur, avec des individus menacés au quotidien de « déportation » alors qu’ils ont élevé leurs enfants au Royaume-Uni. Nos voisins européens qui nous ont apporté une main d’œuvre hautement qualifiée, mais aussi des travailleurs peu qualifiés remplissant des tâches  ingrates, dangereuses, difficiles dont les Britanniques ne voulaient pas, n’ont aucun statut qui leur assure une quelconque sécurité. Les attaques racistes augmentent. Les xénophobes déchainent les haines et les peurs- ils se sentent tout puissants  parce qu’ils sont dans le camp des « vainqueurs » du Brexit.

L’avenir semble triste pour ceux d’entre nous qui se définissent comme des Britanniques Européens – nous sommes à présent gênés d’avoir des passeports britanniques. L’avenir s’annonce sans avancées pour la justice sociale, les conditions de travail équitables et l’égalité promues par l’Europe.  Les collaborations au sein de  programmes scientifique européens qui permettaient les échanges et les opportunités d’apprendre les uns des autres, comme étudiant ou comme chercheurs, ont disparu- l’avenir est morne.  

Nos vies intellectuelles seront moins riches si nous sommes réduits à des recherches purement nationales. L’agenda international prôné par certains partisans du Brexit a surtout été possible grâce aux programmes scientifiques soutenus par l’Union européenne - dont aucun autre pays européen à l’exception de l’Allemagne n’a autant profité que le Royaume-Uni. Nous constatons déjà que les Universités britanniques ne sont plus aussi attractives que leurs homologues européennes.

Ceux qui sont tournés vers l’avenir continuent d’espérer que le Brexit n’arrivera pas, que nos dirigeants politiques reviendront à la raison. Pour le salut de l’économie, de la société, de la culture et de la connaissance nous trouverons un moyen de rester en Europe. Quand ma collègue de l’iriv m’a demandé d’écrire cet article pour sa revue, j’ai réalisé qu’il m’était impossible d’imaginer un avenir sans l’Europe, je refuse d’accepter cette folie.

Demain doit être placé sous le signe de l’espoir- qu’il y ait un changement de direction avant qu’il ne soit trop tard. L’espoir que nous ayons la chance de voter « pour », et de rejeter le Brexit, quel que soit le « marché » (deal) que notre gouvernement réussira  ou échouera à négocier. L’espoir enfin que lorsque tout ira si mal dans notre pays, l’Europe acceptera de nous accueillir à nouveau sans rancœur –beaucoup de Britanniques ont voté pour rester, et ceux qui ont voté contre l’ont fait sur la base de mythes et de mensonges et non sur des preuves.

Alors demain, l’espoir pourra laisser place à l’optimisme.



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