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Numéro 33 - rive pédagogique - décembre 2017

Siham NAJI, professeure de Lettres, Collège Blaise Pascal (Massy, Essonne)

Enseigner, un acte de partage et d’échange

Quand on enseigne dans le secondaire, on a toujours à cœur de partager la passion qui nous a poussés à faire ce métier. Transmettre le plaisir du texte n’est pas chose aisée, surtout face à un public qui n’a pas choisi d’être là. La vision traditionnelle de la transmission verticale du savoir est battue en brèche lorsque l’on envisage la transmission à l’aune du partage. Comment faire de l’enseignement un partage lorsqu’on est face à des individualités multiples, des personnes différentes issues de divers milieux et qui ne partagent pas forcément les mêmes références culturelles ?

Enseigner est un acte de partage. Ce partage n’est ni évident, ni simple ; il nécessite un engagement des deux parties - celui qui donne et celui qui reçoit.  Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai été affectée  dans un collège classé Réseau d’Education Prioritaire (REP). J’ai dû apprendre à m’adapter à des publics parfois difficiles. Si je voulais transmettre mes savoirs, il fallait que je les ajuste et que je les adapte à ces publics. L’enseignement en REP s’avère ainsi une éternelle captatio benevolentiae- gagner l’attention et la bienveillance des élèves est une gageure. Elle n’est pas facile et fatigante, car sans cesse répétée, mais elle fait tout le sel de ce métier. Pour partager le savoir, il faut gagner la bienveillance des auditeurs.  Pour  partager, il  faut les rendre acteurs des savoirs qu’ils acquièrent. Leur permettre de forger leur propre esprit critique ; interpréter les textes avec leur propre regard... Rien n’est plus beau ni plus gratifiant pour un enseignant que de recevoir un éclairage ou un questionnement nouveau apporté par un élève.

« Ce que l’enfant est en mesure de faire aujourd’hui avec l’aide des adultes, il pourra l’accomplir seul demain » selon Lev S. Vygotsky. Ce théoricien a montré l’importance et la nécessité de l’apprentissage par le groupe. L’esprit critique est le résultat d’un long travail collaboratif entre l’enfant, ses parents, ses camarades et les enseignants. En demeurant parfois en retrait, l’enseignant transmet au mieux les outils qui permettront à l’enfant de forger sa propre pensée. Il est loin le temps où l’enseignant posait une succession de questions précises sur un texte. Désormais, une seule question globale, suivie d’échanges avec  les élèves, permet de cerner les enjeux d’un texte et de faire circuler la parole dans la classe. On profite des cours en demi-groupes pour faire naître chez l’élève des réflexes et des automatismes qui lui permettront d’améliorer ses productions écrites quand il sera seul,  puis dans la classe entière. Cette aide particulière plus celle dispensée par les parents, les étudiants et d’autres bénévoles, dans le cadre du soutien scolaire, par exemple, sont autant d’instruments qui permettent à l’enfant de développer son apprentissage.

Une situation de partage parmi d’autres est proposée par la mise en voix. Les arts du spectacle permettent de partager pleinement des textes classiques revisités par les élèves. Avec une classe de 3ème du collège d’Athis-Mons,  j’ai vécu mon premier vrai moment de théâtre et de communion avec les élèves. J’avais demandé des volontaires pour lire la fameuse scène de confrontation entre Antigone et la Nourrice. Je n’avais pas une forêt de doigts face à moi, mais un des élèves, Diakanké, avait envie d’interpréter le rôle de la Nourrice ; quant à Antigone, elle a été mise en voix par Astou. Ces deux élèves dont l’attitude  n’était pas toujours studieuse, ont à mes yeux « dépoussiéré » la pièce de Jean Anouilh. Diakanké a adopté un ton comique de nourrice africaine pour s’adresser à sa camarade Astou. Il a gommé la dimension pathétique de la scène mais a su capter toute l’attention de la classe et la mienne. Cette simple mise en voix d’un texte est devenue pour moi un vrai moment de partage car ces deux élèves se sont saisis d’un texte avec  leur propre sensibilité. Ils ont réussi, mieux que n’importe quel professeur, à montrer l’universalité de l’œuvre d’Anouilh - et la manière dont chacun peut se l’approprier.

Pour un professeur de lettres, faire vivre les textes, donner une voix à la lettre, au mot, est ce qui fait la beauté de notre métier. En prêtant leurs voix à des êtres de papier, Diakanké et Astou ont redistribué les cartes, les parts. Ils ont ouvert la voie à leurs camarades. Le partage n’est plus alors une simple répartition mais un véritable échange.



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