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Numéro 35 - rive académique - décembre 2018

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

L’ambiguïté de la renaissance

Au XIVème siècle, renaissance est un terme de théologie qui évoque la régénération spirituelle. Au XVIème siècle, elle exprime plus précisément la réincarnation de l’âme après la mort. Ces valeurs religieuses sont héritées du verbe renaître qui signifie d’abord « connaître une nouvelle disposition d’âme, un changement spirituel » puis « naître une seconde fois » (1). Renaissance a deux types de synonymes. Un premier groupe marque le passage de la mort à la vie dans le vocabulaire religieux (résurrection, réincarnation)ou biologique(régénération, reviviscence). Le « renaissant » (2) sort de sa chrysalide pour prendre un essor vivifiant (3). Un second groupe de synonymes exprime l’idée d’éclipse. En astronomie, la réapparition d’un astre marque sa disparition momentanée, le mot sera ensuite étendu aux « stars ». En hydrologie, la résurgence d’une rivière souterraine signale son retour à la surface.

La figure du phénix est une image saisissante de la renaissance. Cet oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne, de la taille d’un aigle et aux ailes dorées et rouges (4), se brûle sur un rocher pour renaître de ses cendres. Le cinéma américain associe également la renaissance à une transformation monstrueuse, surtout dans les films de science-fiction ou les thrillers. Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet (1997) fait renaître Ellen Ripley, qui s’était suicidée dans l’opus précédent. L’héroïne est clonée à partir d’une de ses cellules malheureusement hybridée avec la créature. Elle est dès lors déshumanisée : elle développe de l’empathie avec les aliens et voit ses forces décupler. Le tueur « Buffalo Bill » (5) dansLe silence des agneaux de Jonathan Demme (1991) prélève l’épiderme de ses proies pour se confectionner une robe de peau humaine. En effet, le serial killer veut se métamorphoser en femme. Il annonce cette renaissance en déposant un sphinx tête de mort (6) dans la gorge de ses victimes et en endossant leurs peaux, symboles de sa future identité féminine.

Pourquoi renaître ? Les écrivains ont répondu diversement à cette question. La vengeance est la première raison donnée par Alexandre Dumas dans Le Comte de Monte-Cristo (1844). Edmond Dantès, trahi par ses « amis », est enfermé dans les geôles du château d’If. Quinze ans plus tard, il renaît sous les traits d’un riche comte qui tue ceux qui ont conspiré contre lui. Le masque de Montecristo lui permet de mener à bien sa vengeance. L’idée de la justice immanente est mêlée à la soif inextinguible d’exterminer ses ennemis. Le candide Edmond s’est mué en un monstre cynique et cruel (7). Inversement, Frankenstein ou le nouveau Prométhée de Mary Shelley (1818) s’interroge sur l’innocence d’un être apparemment monstrueux. La créature de Victor Frankenstein est violemment rejetée par une société qu’il effraie. Il s’enfuit et se cache dans la montagne près de pauvres exilés qu’il observe clandestinement. Il apprend ainsi à parler, à ressentir des émotions, à se forger une conscience. Le monstre s’humanise au contact de cette famille. La renaissance est métaphorique : la monstruosité peut être apprivoisée par la bonté (8).

Rebirth ou Renaissance est un mouvement californien des années 1960 qui s’inspire de technique respiratoire des traditions taoïstes et yogistes (9). Il était censé libérer les émotions de ceux qui cherchaient à surmonter un traumatisme et à entamer un nouveau type de reconstruction. Ce courant fit florès dans les années 1980 adeptes des pensées et des thérapies orientales. Pourtant, dès 2000, il commença à être contesté car le Rebirth déclenchait des crises de spasmophilie chez certains patients qui revivaient trop fortement leur trauma. D’autres s’inventaient des souvenirs par un phénomène d’autosuggestion. Le Rebirthing, version destinée aux enfants, fut interdite aux Etats-Unis en 2002. Un enfant de dix ans était mort, asphyxié, lors la mise en scène de sa « renaissance ».

La version médicale positive de la renaissance est la résilience (10), définie comme la  force de retrouver ses capacités mentales, psychiques et physiques après un choc important. Selon les neuroscientifiques, la résilience est la réponse optimale face à un stress intense. Ce stress libère l’adrénaline et la noradrénaline dans notre cerveau ce qui accroît l’oxygénation des muscles, libère le cortisol stimulant de l’attention et réveille le système immunitaire. Si l’organisme est équilibré, ces réactions hormonales sont de courte durée. Sinon, le système s’emballe, le stress devient chronique et amplifie les réponses disproportionnées du corps. Chacun n’est pas égal face à des événements traumatisants. Des recherches récentes dessinent le profil de sujets hautement résilients : ils ont un terrain génétique favorable, une bonne insertion sociale et professionnelle, une image positive d’eux-mêmes, ils sont doués d’empathie et de flexibilité cognitive (11).

Les œuvres de fiction nous mettent en garde contre les dangers de la renaissance capable de générer des monstres. En effet, le « rené » peut être effrayant, il a surmonté des épreuves en se fortifiant ce qui fait de lui un être un peu plus qu’humain, voire monstrueux. Psychiquement et spirituellement, la renaissance permet de dépasser ses peurs, comme celle de revivre un événement traumatisant ou d’affronter la mort. La renaissance est une chance si l’on croit en un futur meilleur en se souvenant des paroles d’Oscar Wilde : « La seule différence entre le saint et le pécheur c’est que chaque saint a un passé et chaque pécheur un futur ».

 (1) Voir Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. Rey, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1992.
(2)
Rappelons que renaissant est le participe présent de renaître. René(e), le participe passé, n’est conservé que dans le prénom.
(3) l
a chrysalide est l’enveloppe formée d’un long fil de soie (cocon) mais aussi la nymphe qui donnera naissance au papillon. L’essor est étymologiquement l’élan de l’oiseau qui s’envole (s’essorer signifie voler en ancien français).
(4) 
Phénix vient du grec phoinix « rouge » dont est issu phénicien, peuple qui avait découvert la pourpre, le mollusque marin secrétant un colorant rouge.
(5)
Rappelons que Buffalo Bill alias de William Frederick Cody (1846-1917) fournissait les troupes américaines en bisons, buffalo en anglais. Ses tournées mondiales, retraçant la légende du Far West, le rendirent célèbre.
(6) 
Le papillon présente sur la partie dorsale du thorax une marque évoquant une tête de mort.
(7) 
On pourrait reconnaître un dédoublement de la personnalité ou trouble de la personnalité multiple. VoirDictionnaire de psychiatrie, dir. Pierre Juillet, Paris, PUF, Editions CILF, 2000.
(8) 
La littérature reprend l’idée de beauté intérieure des monstres. Voir le prince dans La Belle et la Bête de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve (1740) ou Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (1831).
(9)
En France, la technique fut importée dans les années 1970 par le psychothérapeute Jacques de Panafieu et la psychologue Dominique Levadoux. Elle était associée à la psychanalyse ou à la Gestalt-thérapie. Le rebirth s’appelle aussi palingénésie. Voir J. de Panafieu, La Rebirth-thérapie, L'Âge d'être pocket, Paris 1989 et D. Levadoux-Feuillet, Renaître, vers une psychanalyse du souffle, Chemins de l'harmonie, Paris 1997. Voir le site www.autonhomme.com
(10)
Voir « Se reconstruire après l’épreuve » de Cerveau et Psycho, n°104, novembre 2018, excellent dossier consacré à la résilience. Il a inspiré ce paragraphe.
(11)
 « Sous ce terme, les psychologues entendent une capacité à interpréter ses propres expériences de façon nouvelle et à s’adapter de façon souple aux changements alentour » Jana Strahler, « Renaître après l’épreuve », in Cerveau et Psycho, op.cit., p.57.

 



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