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Numéro 35 - rive politique - décembre 2018

Samira Nedžibović, Master n Sciences de l'Education, diplômée de l'IEP Paris (Théorie politique, 2015) et de l'Université de Laval (Quebec, 2013)

Naissance et renaissance – l’urgence éthique de l’action

Dans son chapitre introductif de la Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt définit la notion de naissance comme un élément central de l’action politique. Dans ce court texte, Arendt expose les trois activités humaines fondamentales de ce qu’elle appelle la vita activa. Ces trois activités sont le travail (processus biologique du corps humain), l’œuvre (non-naturalité de l’existence humaine – le monde des objets) et l’action (qui met en relation les hommes de manière directe et qui correspond à la condition humaine de la pluralité et de toute vie politique). Ces trois activités sont étroitement liées à la condition plus générale de l’existence humaine, soit la vie et la mort, la natalité et la mortalité (1).

Le travail et l’œuvre s’inscrivent dans la natalité par la nécessité de sauvegarder le monde pour les nouveaux venus alors que l’action constitue la condition irréductible de la natalité. À ce sujet, Arendt écrit : « le commencement inhérent à la naissance ne peut se faire sentir dans le monde que parce que le nouveau venu possède la faculté d’entreprendre du neuf, c’est-à-dire d’agir  »(2). Le nouveau venu est aussitôt inséré dans un réseau pluriel et intersubjectif que sont les relations humaines.

Arendt fait ainsi de la natalité le fondement du pluralisme - nous sommes « des hommes » et non pas simplement « hommes ». Le nouveau-né par sa naissance vient renouveler le monde tout en apparaissant comme unique et autre. Ce rapprochement entre natalité et pluralisme donne à la pensée politique d’Arendt un fondement anthropologique : l’homme possède avant tout la capacité à  entreprendre, à innover, à initier de la nouveauté dans un monde commun et pluriel.

En définissant la faculté d’agir à travers l’événement de la naissance, Arendt inscrit cette notion au cœur même de l’activité politique. La notion de natalité est porteuse d’un principe normatif qui se traduit par un devoir des mortels à agir sur le monde, surtout lorsque le point de rupture est tel que nous n’avons d’autres chances que de recommencer.

Autrement dit, notre naissance pose un impératif, être homme, être libre, agir (le sujet responsable et agissant), mais toujours dans un monde déjà donné et contingent. La naissance impose aussi bien la liberté comme raison d’être de la politique que l’action définit comme le champ d’expérience du politique.

La natalité ouvre à l’homme un monde de possibilités et l’invite à s’emparer de cet espace d’innovation et d’initiative.  On pourrait résumer cette approche par la formule « se remettre au monde et mettre au monde » - répondre présent à travers la natalité qui nous engage dans l’action et dans cette potentialité toujours présente de recréer un monde nouveau.

La naissance comme devoir d’initiative suppose un caractère inattendu propre à tous les commencements. Si l’homme est capable d’action, il est aussi capable de tout accomplir, voire le plus improbable et le plus surprenant. Derrière le concept de natalité, nous retrouvons donc l’idée de miracle comme possibilité de sauver le monde. Ce concept d’espérance évoqué par Arendt à la fin du chapitre sur l’action se caractérise par cet espace donné à l’homme par la naissance qui lui permet d’introduire des événements nouveaux dans un monde contingent : « c’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencement à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance. » (3)

Cette idée de commencement nouveau signifie que les hommes sont en mesure de donner un nouvel essor au monde, de le faire renaître. Comme si l’événement de la naissance donnait d’ores et déjà l’espoir aux hommes de recommencer, de créer du neuf ou d’engendrer un progrès nouveau. La renaissance demeure in fine l’espérance première de l’homme dans un monde où tout est possible : « […] la possibilité d’un monde non totalitaire est à chercher dans les ressources de résistance et de renaissance contenue dans la condition humaine en tant que telle » (4).

(1) Hannah ARENDT, Condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy, coll. Pocket Agora, Paris, 1983, p. 43
(2) Ibidem.
(3) Ibidem., p. 314.
(4) Ibidem., « Préface » par Paul RICOEUR, p. 13.



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