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Numéro 36 - rive académique - mai 2019

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Audendo virtus crescit, tardando timor. « Le courage croît en osant et la peur en hésitant ». (1)

L’audace et le courage sont deux notions voisines. Le courage est une vertu essentiellement morale, attribuée à l’élite, une force d’âme dans tous les domaines. Le courageux a le sens de la mesure face au danger, l’audacieux l’affronte avec morgue quel qu’en soit le prix (2).

L’audace est un courage entreprenant, c’est un mot d’origine latine. L’adjectif audax « audacieux, effronté » et le nom audacia sont issus de audere « désirer, vouloir » (3). En français, l’audacieux emprunte trois principales voies lexicales. D’abord, il est un guerrier vaillant, valeureux, hardi, intrépide ou brave. Se sentant tout-puissant, il peut se mettre en danger avec sa troupe. On le dit fier, orgueilleux, présomptueux, voire impétueux, fougueux, arrogant ou téméraire. Parfois, l’audacieux est tourné en ridicule si son courage est purement verbal, on le traite alors de fier-à-bras, de matamore, de fanfaron.

Valeureux et vaillant sont tirés du verbe valere « valoir » (4). Un bon militaire est estimé pour ce qu’il vaut, c’est à dire son mérite et ses qualités. Brave, tiré de l’italien bravo « mercenaire », est le guerrier obtenant sa part du butin pour ses services (5). Il signifie ensuite beau, fier, noble, courageux et qualifie une personne qui se comporte de manière honnête et simple (6). Intrépide « qui ne tremble pas devant le danger » (7) désigne par extension « qui ne se laisse pas rebuter par les obstacles », « qui reste ferme dans sa conduite ». Dès le XVIIe s., hardi (8) qualifie quelqu’un de courageux, de vaillant, qui ose (main, proposition hardie). En mauvaise part, une personne hardie est effrontée, provocante, impudente (un hardi menteur, fille hardie).

Dès le milieu du XVIe s, l’audace commence à être dévalorisée. Le héros épique est touché par l’hybris, « démesure, orgueil » en grec (9) et considéré comme un être incontrôlable donc dangereux. Plusieurs adjectifs marquent la confiance en soi en bonne ou en mauvaise part. Orgueilleux signifie « fort, robuste, vaillant » s’il qualifie le physique mais son sémantisme moral est péjoratif. Au Moyen Age, le sentiment aristocratique de supériorité du guerrier doit être compensé par l’idéal chrétien d’humilité. Fier, du latin ferus « sauvage », qualifie celui qui montre du courage, de l’impétuosité. A partir du XVIIe s., l’idée de s’estimer supérieur aux autres prime. Le sens moderne est celui de la satisfaction Présomptueux exprime l’idée trop avantageuse que l’on a de soi-même. Cette idée de la hauteur méprisante se retrouve dans hautain, altier, dédaigneux et condescendant.

L’audacieux doit se garder d’user de violence injustifiée. Impétueux et fougueux marquent la frontière entre violence et manque de contrôle (10). Provocant, de provoquer « appeler devant, exciter à, défier, faire venir », qualifie une personne incitant à des actions violentes. Les notions d’accidentel et d’irréfléchi se croisent dans téméraire, tiré de l’adverbe temere « dans les ténèbres » (sens propre) et « au hasard, à l’aventure » (sens figuré). A partir du XVIIe s., téméraire se rapporte aux personnes d’une hardiesse inconsidérée dans les paroles ou les actes.

Le XVIIe siècle est un tournant sémantique important. L’idéal de politesse de « l’honnête homme » impose des règles strictes de civilité que ne respecte pas l’audacieux, son attitude, ses idées ou ses paroles sont jugées excessives. Un arrogant « demande en plus, réclame indûment ». Impertinent étymologiquement « extravagant », entreprenant « qui est porté à entreprendre » ou insolent « inaccoutumé » deviennent synonymes de impudent « qui ne manifeste aucune pudeur » ou de effronté « privé de front » (11). Le « plaisir aristocratique de déplaire » (12) caractérise le libertin (13) au comportement incivil : ne prononce-t-il pas des paroles insensées ou offensantes pour affirmer la prééminence de son individualité ?

Si l’audacieux est gonflé de lui-même, il sera ridiculisé et qualifié d’important, de suffisant, d’outrecuidant, de prétentieux, de vaniteux ou de fat. Dans le langage familier, il est dit fiérot ou glorieux. La littérature aime s’en moquer depuis le Miles gloriosus de Plaute. Le fier-à-bras ou Fiérabras -« qui frappe à tour de bras » est le géant sarrasin d’une chanson de geste médiévale. Rodomont ou Sacripant sont des personnages des gestes italiennes des XVe et XVIe s., Orlando innamorato et Orlando furioso. D’autres peuplent la commedia dell’arte comme Matamore Fanfaron ou Polichinelle (14).

L’audace est un kaléidoscope lexical où le guerrier qui ne tremble devant aucun danger se transforme en héros aveuglé par la violence et surestimant sa valeur. Le XVII e siècle qui invente « l’honnête homme » est très critique envers l’audacieux, épris de liberté. La politesse mondaine codifie les comportements et le langage, celui qui transgresse les règles est jugé incivil dans une idéologie parfaitement caricaturée dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière. M. Jourdain peut apprendre la technique pas l’éthique. Son maître d’armes entend avec consternation le but de l’escrime : « De cette façon donc, un homme, sans avoir de cœur, est sûr de tuer son homme, et de n’être pas tué ? »

(1) proverbe romain de Publius Syrius.
(2) L’audace, fait du guerrier, est une notion essentiellement masculine. Quand on pense à une audacieuse, elle est combattante (Jeanne d’Arc), militante (Olympe de Gouges), esprit libre (George Sand) ou scandaleuse (Colette).
(3) Ce verbe, étymon d’oser, est parfois rapproché de avere « être avide », peut-être tiré du sanscrit avati « il se réjouit, il aide ».
(4) Valeur exprime la vaillance, puis la mesure d’une chose, d’un bien et enfin le prix (objet de valeur).
(5) Braver signifie « humilier par son luxe », « faire belle figure avec sa parure » et « provoquer, défier ». Les bravi sont des « hommes de main », spécialement des « maîtres-chanteurs ».
(6) La bravoure est concurrencée par braverie (« audace, bravoure ostentatoire ») et bravade (« ostentation »). Cette qualité est propre au guerrier courageux et au musicien virtuose (morceau de bravoure, air de bravoure). Au pluriel, le nom manifeste l’approbation. Il sera supplanté dans cet emploi par bravo au XVIIIe siècle. L’adjectif brave n’est négatif que dans un emploi étymologique.
(7) Intrépide est l’antonyme de trepidus « qui s’agite, inquiet, tremblant ».
(8) Hardi est le participe passé de hardir « rendre, devenir dur », issu du francique hardjan, de hart « dur ».
(9) L’hybris une notion morale décriée dans l’Antiquité car elle est associée à des actes violents et irréparables (folie d’Héraclès tuant ses proches, Agamemnon sacrifiant Iphigénie pour que la flotte grecque soit favorisée par les dieux).
(10) L’être fougueux canalise mal la violence de ses émotions (artiste inspiré, guerrier ou amant passionné).
(11) Le front passait pour être le siège des sentiments, un effronté ne ressent plus rien et agit sans vergogne.
(12) La formule est de Baudelaire. Dans Le Misanthrope, Philinte incarne l’honnête homme. Alcetse serait l’arrogant qui s’en affranchit.
(13) Le libertin est à l’origine celui qui use (ou abuse) de sa liberté dans tous les domaines (mœurs, religion, sexualité…). Il est incarné par Dom Juan de Molière.
(14) Rodomont a donné rodomontade. Sacripant a changé de sens par confusion avec « chenapan ». Matamore, « tueur de Maures » en espagnol, est le faux brave des comédies espagnoles et du théâtre français. Fanfaron est utilisé comme adjectif et nom, il vient de l’espagnol fanfarron, tiré de l’arabe farfar « bavard léger », ainsi que l’italien fanfarone. On peut le rapprocher du hâbleur tiré du verbe hablar « parler » en espagnol.
(15) Le mot, tiré de pullicenus « jeune poulet », désigne au sens figuré « un homme timide et maladroit ». Il incarne le paysan balourd. Ce personnage sera repris par les jeux de marionnettes françaises où il incarnera le fanfaron. Poltron appartient à la même famille lexicale.



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