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Numéro 36 - rive du Danemark - mai 2019

dr Niels Rosendal Jensen, Professeur associé, chef du département de Sociologie de l’Education, Ecole d’Education, Université d’Aarhus (Danemark)

L’audace d’une justice sociale (1)

L’audace à l’heure actuelle est de s’opposer et de combattre  les inégalités dans la société. Elles peuvent se définir comme une distribution inéquitable de la  richesse. Une société juste serait donc une société dans laquelle il y aurait un juste partage de la richesse. Ce n’est pas une condition suffisante car la justice concerne aussi les droits, les opportunités et les ressources. La justice sociale poursuit des objectifs politiques larges. Elle peut se réaliser grâce à des politiques sociales, économiques, environnementales et une volonté politique visant à atteindre l’égalité des revenus. Elle reconnaît la dignité et la même valeur pour tous. Elle réduit les inégalités de richesse, de revenus et de chances dans la vie et incite à la participation de tous.

Les principes présidant à une justice sociale ne permettent pas de créer une société parfaite. Que doivent-ils viser ? Ils doivent proposer des critères pour pouvoir juger les institutions. Ils laissent ouverte la question de savoir quels  changements institutionnels sont nécessaires pour permettre plus de  justice sociale. Les institutions doivent s’adapter aux nouvelles conditions liées aux nouvelles connaissances et technologies.  L’objection de vouloir créer une utopie est à rejeter. Pour réaliser une justice sociale il faut prévoir des services publics de qualité ainsi qu’une égalité matérielle adéquate. La justice sociale n’est donc pas encore atteinte- en termes d’égalité de revenu, de statut ou même de besoins basiques.  La raison principale est la domination de l’économie de marché. La faillite du marché pour assurer une justice sociale pose  la question primordiale  de l’individu face au collectif, ou en d’autres termes comment  comprendre la liberté individuelle ou l’autonomie- doivent-elles se faire au prix de la justice sociale pour qu’un grand nombre de gens puissent y accéder dans le monde ?

Cela pose aussi la question du besoin de justice sociale. Il est important de se souvenir que la philosophie morale et politique  ignore les pratiques économiques existantes et les formes concrètes d’injustice auxquelles elles sont associées. L’hypothèse de telles théories est typique du monde imaginé par une communauté d’individus rationnels, libres de toute dépendance, adultes et mûrs se groupant avec d’autres individus  du même genre. C’est faire peu de cas des capacités et des besoins humains.

Au contraire,  nous avons besoin d’une nouvelle approche. Les politiques publiques devraient créer les conditions d’une participation intéressante au  marché du travail, à la famille, à la communauté et à la société toute entière. Elles devraient promouvoir des conditions de travail, une fonction de reproduction, une participation démocratique et un développement personnel dignes de ce nom. Le point central est que les êtres humains sont des acteurs qui s’épanouissent de manières variées dans les relations qu’ils créent avec les autres. Ce ne sont pas des atomes isolés, ils appartiennent à des réseaux sociaux et à une communauté politique plus large. Ils ne sont pas indépendants les uns des autres. Ils ne se sont pas faits par eux-mêmes mais sont dépendants des liens qu’ils tissent avec la communauté à laquelle ils appartiennent comme la communauté nationale.

La justice sociale a deux facettes. Une première dimension est la distribution, une autre est la contribution. On n’est pas seulement « récipiendaire ». On est aussi « donateur » ; en tant qu’institution. Eventuellement, on est aussi « juge ». Dans cette acception, on devrait avoir la liberté réelle de vivre pour une bonne raison.  Le premier point signifie que l’on devrait bénéficier d’une liberté réelle et non seulement formelle, qui tienne compte d’une réelle égalité des chances, des droits et des ressources mais aussi des capacités individuelles d’en user. Cela signifie avoir le pouvoir d’agir, non pour soi mais en vivant dans un environnement socioéconomique adéquat. Cela conduit à une notion des politiques publiques et de l’action qui ne soient pas limitées à la redistribution des ressources ou au développement de l’employabilité individuelle mais qui ouvrent des dimensions sociétales plus larges. Le second point signifie que l’on ne devrait accepter de se voir dicter par les autres sa conduite ou sa vie. La « sainte trinité » récipiendaire-donateur-juge est donc un prérequis pour créer des chances égales de vie. Cela nécessite des changements considérables dans nos sociétés.

Il est en effet  nécessaire de prendre en compte toutes les dimensions de la condition humaine. Ce n’est pas seulement une question de travail rémunéré mais aussi de la fonction de reproduction, de l’auto-développement, de la participation démocratique et du travail bénévole. Nous devons mettre en place des politiques sociales qui permettent de concilier de manière durable travail, famille, engagement pour sa communauté locale, nationale ou globale, éducation ou développement personnel.

C’est l’essence même de l’audace.

(1) Article traduit de l’anglais par Bénédicte Halba



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