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Numéro 37 - rive éditoriale - décembre 2019

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Aux sources de l’engagement

Vivere militare est (1)

 L’engagement est souvent associé à des périodes troublées. On s’engage en période de guerre quand son pays est attaqué, pour défendre les siens ou sa patrie. En Europe et dans le monde occidental où règne la paix depuis plus de soixante-dix ans (2), cette acception semble désuète ou surannée quand elle n’est pas moquée. Pourtant, avant que la guerre ne soit officiellement déclarée, des signaux peuvent alerter les sociétés occidentales et les démocrates, comme les attaques insidieuses et répétées contre des minorités qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles. Une partie de la population se présentant comme la « majorité », souvent silencieuse, de leurs concitoyens tente d’imposer ses vues par une série d’actions sur le terrain, un climat de suspicion généralisée et des tensions intestines.

Quand on appartient à la « majorité » (au sens de « groupe le plus nombreux »- ethnique, religieux ou sexuel), on ne se rend pas toujours compte de la menace. Parfois on refuse de la voir, ou de l’admettre, même quand les signes sont devenus très visibles. La prise de conscience est une première étape, souvent longue, parfois difficile, toujours personnelle. L’action devient alors une ardente nécessité pour faire oublier son inaction ou sa passivité, qui semble implicitement complice des « plus nombreux ». Certains choisissent de s’engager dans une association, pour défendre les droits humains et les libertés fondamentales ou la défense d’une communauté discriminée. D’autres préfèrent une action politique au niveau local (souvent sans affiliation partisane dans les petites communes) ou national (en adhérant à un parti politique ou en créant son propre parti). Mais il existe bien d’autres moyens de s’engager pour défendre les valeurs démocratiques. Elles ne s’inscrivent pas toujours dans un cadre national qui peut parfois sembler réducteur.

Les exemples sont nombreux dans l’histoire du XXème siècle de femmes et d’hommes qui ont choisi de s’engager au service d’un pays qui n’était pas le leur pour servir un idéal démocratique. Durant la Première Guerre Mondiale, Alan Seeger, poète américain, devenu « Poilu », est mort pour la France (3). Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Krystyna Skarbek, patriote polonaise, s’est engagée  sous le nom de guerre de Christine Granville aux côtés des forces armées britanniques et de la résistance française dans le maquis du Vercors. Son courage a été reconnu  par la George Cross décernée par le gouvernement britannique et la Croix de Guerre par la France (4).

On peut également citer les volontaires étrangers en Espagne, engagés auprès des Républicains après le coup d’Etat militaire du Général Franco en juillet 1936 avec le soutien des troupes franquistes, de fascistes italiens ou de nazis allemands (5). Parmi les volontaires qui soutenaient les Républicains espagnols, qui représentaient le gouvernent légal et la démocratie, beaucoup étaient des Français qui avaient intégré par exemple la collonne Durruti. André Malraux, avec le soutien du Ministre de l’air français, Pierre Cot, avait été chargé de constituer une escadrille aérienne, España (6), épisode qu’il a raconté dans son roman « L’espoir » (6). D'autres volontaires étrangers, présents en Espagne,  avaient rallié le gouvernement légal républicain, en particulier des Allemands et des Italiens qui avaient trouvé l'asile en Espagne après avoir fui les dictatures fascistes et nazies. Ces premiers volontaires étrangers se sont rassemblés au sein d'unités originales, avec des noms illustres du passé, comme le bataillon Wlaery Wroblewski (7)  ou Tom Mann ( 8).

Des romanciers d’exception se sont aussi engagés pendant les deux guerres mondiales avant de s’illustrer dans la littérature. En France, deux écrivains sont exemplaires de ce parcours. Joseph Kessel, membre de l’Académie française, a été aviateur volontaire pendant la Première Guerre Mondiale, parcours qu’il a raconté dans son roman « L’équipage ». Il a ensuite été résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale, expérience qu’il a évoquée dans « L’armée des ombres » (9). Romain Gary, membre de l’Académie Goncourt, s'est engagé en 1940 dans les Forces aériennes françaises libres(FAFL) où il a servi au Moyen-orient, en Libye, en Abyssinie, en Syrie, en Paletstine avant d’accomplir des missions périlleuses sur le Front, engagement qu’il a raconté dans « La promesse de l’aube » (10).

L’action nourrit la réflexion et permet de rendre plus concrète une réalité souvent appréhendée au travers de livres ou de médias, ou d’une connaissance indirecte des choses, par le témoignage des personnes qui se sont engagées. L’expérience de la minorité peut être décisive pour mieux comprendre les raisons d’un engagement. Il n’est pas utile d’appartenir « objectivement » à une minorité, mais d’être sensible à la différence et l’altérité, et de refuser la « loi du plus grand nombre ». L’idéal démocratique ne répond  à aucun principe arithmétique et ne connaît pas de frontière. Le mouvement associatif « sans-frontiériste » (11) a apporté, à maintes reprises, depuis les années soixante-dix,  la preuve, à un niveau international, dans des pays aux cultures très différentes, que la solidarité n’était pas « seulement nationale » comme les sources de l’engagement.

« The French word ‘fard’ with its connotations – an embellishment but also a burden » (12)


(1) « Vivre est une guerre » - Sénèque, « Lettre à Lucilius », 63-64 après Jésus Christ
(2) si l’on excepte des interventions « extérieures », hors du territoire « national » ou métropolitain, comme l’Indochine (1946-1954) ou l’Algérie (1954 -1962) pour la France  ; la guerre de Corée (1950-1953) ou du Vietnam (1963-1975) pour les Etats-Unis ; ou encore des guerres « périphériques » comme celle des Balkans (1991-1995) au Sud Est de l’Europe ou la guerre d’Afghanistan (depuis 2001)
(3) Alan Seeger - https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/07/04/alan-seeger-le-poete-tombe-pour-la-france_5485104_3246.html
(4) Krystyna Skarbek - lemonde.fr/culture/article/2019/08/07/guerre-secrete-christine-granville-espionne-polonaise-une-heroine-au-dessus-du-lot_5497443_3246.html
(5) Les Brigades internationales - https://fr.wikipedia.org/wiki/Brigades_internationales
(6) Episode raconté par Malraux, André (1937), « L’espoir », Paris : Gallimard
(7) Walery Wroblewski , né à Zoludek , Pologne en 1836 ; mort en Eure-et-Loir, France en 1908 ; personnalité militaire de la Commune de Paris
(8) Thomas Mann dit Tom Mann (1856 - 1941), syndicaliste britannique autodidacte qui devint un organisateur et un orateur populaire du mouvement ouvrier
(9) Joseph Elie Kessel (né en 1898 en Argentine, mort en 1979 en France), journaliste, écrivain, membre de l’Académie française, Grand Officier de la Légion d’honneur, Commandeur des Arts et des Lettres, Croix de guerre 1914-1918, Croix de guerre 1939-1945 ; Kessel, Joseph (1923) « L’équipage » , Paris : Folio, Galimard et Kessel, Joseph (1963), « L’armée des ombres », Paris : Gallimard
(10) Romain Gary (né Roman Kacew en 1914 à Vilnius, mort en 1980 à Paris), fait Compagnon de la Libération en 1945 pour son courage pendant la guerre avant de devenir un diplomate français en Bulgarie(1946-1947), à Paris(1948-1949), en Suisse(1950-1951), à New York (1951-1954) à la Mission permanente de la France auprès des Nations Unies, à Londres (1955), puis en qualité de consul général de France à Los Angeles (1956-1960), prix Goncourt à deux reprises sous les noms de Romain Gary et Emile Ajar ; Gary, Romain (1960), « La promesse de l’aube », Paris :  Folio, Gallimard.
(11) « Médecins sans frontière », première ONG de « French doctors » créée en 1971par un groupe de médecins et journalistes français- les uns marqués par leur expérience au Biafra, deux ans plus tôt avec la Croix Rouge française ; les autres proches du journal médical Tonus et son appel aux médecins pour porter secours aux victimes d'inondations au Pakistan oriental. Ils décident de créer une organisation médicale d’urgence libre de parole et en actes - https://www.msf.fr/decouvrir-msf/notre-histoire
(12) “Le mot français ‘fard’ avec ses connotations- un embellissement mais aussi une charge»- Bellow, Saul (1987) « More Die of Heartbreak », New York : Penguin Books.



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