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Numéro 37 - rive de Hongrie - décembre 2019

Zita Gabor, manager de l'association Jövőkerék (Budapest, Hongrie), Attila Meszaros, conseiller & formateur de l'association Jövőkerék

Une source essentielle de la démocratie- ne pas avoir peur

Ne pas avoir peur de ses pensées, d’autres langues, d’autres cultures, de la révolution, de conspirations, d’intentions “infernales” de ses ennemis, de la propagande hostile, de l’infériorité, et de tous les périls imaginaires qui deviennent réels si nous commençons à avoir peur. Les pays d’Europe centrale et orientale ont peur parce qu’ils n’étaient pas prêts, mûrs, pour la démocratie, et qu’ils craignaient de  ne pas devenir « un des leurs » (2)

Même si nous vivons dans une démocratie depuis 30 ans (1989-2019) et que nous sommes membres de l’Union européenne depuis quinze ans, cette peur née après la Seconde Guerre Mondiale est toujours d’actualité. Le gouvernement au pouvoir cherche à éloigner le plus possible les citoyens, évitant ainsi une participation active des citoyens aux affaires publiques. Les responsables publics et les politiques, avec le soutien des deux tiers des électeurs, sont défiants ou opposés à l’interférence des « autres » dans les affaires publiques. Ils mettent en cause la légitimité des communautés indépendantes et autonomes. Le gouvernement cherche aussi à discréditer les mouvements sociaux car ils sont une menace pour le pouvoir.

Ces dernières années, la migration a été le chiffon rouge agité par les mouvements populistes d’extrême droite, une référence intentionnelle pour générer une « panique morale », un point important de leur communication pour asseoir leur pouvoir. Ils sont particulièrement hostiles à tous ceux qui expriment des valeurs ou des principes différents des leurs. Le gouvernement hongrois a utilisé beaucoup d’instruments légaux, financiers ou de communication pour combattre des organisations intervenant dans le champ de la migration, de la lutte contre la corruption, de l’égalité des chances et de la démocratie, pour les intimider. Deux exemples sont édifiants.

Tout d’abord, dans le processus de transition démocratique,  les supposés « ennemis nationaux » de la Hongrie étaient inscrits sur une liste noire. Le journal d’un parti d’extrême droite a listé le nom de personnalités publiques juives, appelées « ennemis de la Nation ». Le parti de Victor Orban, le FIDESZ, qui se définit comme conservateur, chrétien, de droite, a réintroduit comme instrument de pouvoir les « listings » qui rappellent de sombres périodes de l’histoire. Dans le domaine des mouvements civils, de la participation civique, de la citoyenneté active, ou de la critique du pouvoir, une autre étape  a été franchie quand le journal proche du gouvernement "Watcher" (Figyelő) a listé tous les employés de la Fondation créée par George Soros, “ Open Society Institution » (OSI).

Parmi d’autres, le nom de travailleurs sociaux sont apparus dans l’hebdomadaire. Ils obéissent pourtant à des convictions morales et professionnelles, aident les réfugiés et soutiennent l’intégration des étrangers, en se chargeant de missions de service public dans un climat légal et social hostile. Ils se battent contre l’épuisement  professionnel (burn out) et une insécurité existentielle sans connaître les ressources des organisations pour lesquelles ils travaillent , souvent  privées de subventions publiques (nationales et européennes).

Cette campagne d’état  a coûté  près de 300 millions d’euros depuis 2015, pour conserver le pouvoir à tout prix et créer une atmosphère de méfiance, de peur et de haine, et créer un nouvel ennemi. La campagne, déjà utilisée au cours du passé, est une méthode bien éprouvée où notre sécurité, notre bien-être et notre culture sont présentées comme menacés par les « autres » à tout moment, et contre lesquels le pouvoir nous protége.

Le pouvoir exclut tout contre-pouvoir en limitant les freins et les critiques. Deux acteurs s’affrontent: nous et nos ennemis. Dans cette lutte, tout est considéré comme secondaire: le respect de la loi, les valeurs européennes démocratiques & morales, ou les principes chrétiens. Avant la Seconde Guerre Mondiale, les hongrois juifs étaient les ennemis (3) puis sont venus les koulaks (riches propriétaires fermiers), puis le capitalisme occidental puis les paresseux, les cheveux longs et les amateurs de rock‘n roll. A présent, ce rôle est dévolu à toute  minorité considérée comme « non hongroises » (principalement des groupes persécutés) et ceux qui les aident. Les étrangers sont de parfaits boucs émissaires car ils forment une « super minorité » dans la vie quotidienne hongroise - ils peuvent difficilement nouer des relations personnelles avec les nationaux, et sont facilement accusés de choses fausses.

La société civile est devenue une cible privilégiée. Les dons privés n’ont pas une longue tradition en Hongrie. Les associations se financent principalement grâce aux subventions nationales ou internationales. L’une des principales sources de financement est le Fonds norvégien, dont 90% peuvent être distribués aux associations sans  contrôle de l’Etat. Cette autonomie n’est plus tolérée. Le gouvernement l’a rendue impossible, en mettant son véto sur les 10% qu’il contrôle. Une autre menace est l’intimidation exercée par la police dont une section est chargée d’encadrer, inspecter, saisir les ordinateurs ou d’arrêter une femme militante sur des allégations infondées. L’action était destinée à décourager d’autres militants et de susciter la méfiance contre la société civile et les « agents de Soros » auprès d’observateurs mal informés.

Ces moyens utilisés par le pouvoir dans un pays européen dit démocratique pour s’opposer à l’autonomie de la société civile, aux mouvements civils, et à la pensée critique soulignent l’importance des mouvements sociaux, de l’engagement individuel des citoyens, de l’action sur le terrain, de la participation pour contrôler le pouvoir. Des mouvements sociaux sans précédent se sont développés en Hongrie pendant la crise des réfugiés de 2015. Des dizaines de milliers de Hongrois ont aidé (avec des vivres, des vêtements, de l’eau, des sanitaires, un logement ou juste un mot) des centaines de milliers de réfugiés qui traversaient le pays. Ils l’ont fait par conviction morale ou religieuse , par solidarité ou charité mais aussi indirectement par opposition au pouvoir qui opprimait.

Ils n’avaient pas peur.

(1) Traduite en français par Bénédicte Halba
(2) István Bibó (1946) , “The Misery of Small Eastern European States”
(3) Encore aujourd’hui sous le gouvernement d’Orban



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