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Numéro 38 - rive éditoriale - mai 2020

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Couleurs du temps

« Je voudrais changer les couleurs du temps, changer les couleurs du monde » (1)

La couleur de l’Europe est le bleu, comme son drapeau, symbole de sagesse, de stabilité, et d’avenir. La construction européenne est née de «réalisations, créant d’abord une solidarité de fait » (2). Elle a  associé étroitement la France et l’Allemagne après une opposition séculaire. Sa première réalisation a été la création d’une Communauté européenne du Charbon et de l’Acier par le traité de Paris (3). La construction européenne s’est poursuivie sur le seul plan économique avec la « création d’un marché commun européen » (4). Si l’objectif à long terme est l’union entre les peuples européens, il s’est d’abord agi de créer un marché unique où les personnes, les marchandises, les services et les capitaux circulaient librement. L’Europe économique et financière a pu avancer vaillamment pendant cinquante ans (1957-2007), avec comme aboutissements une monnaie et une banque centrale communes (5).

Le bleu est associé à la mer, toujours en mouvement. Que reste-t-il de l’idéal européen, basé sur la solidarité et la coopération des Etats européens face aux égoïsmes nationaux et aux peurs irrationnelles de l’autre ? Depuis la crise financière de 2008, l’Union européenne et l’idéal européen ont été ébranlés. Les attaques terroristes et la crise migratoire de 2015, puis le Brexit en 2016 et le départ pour la première fois de son histoire d’un de ses pays membres, ont été de premiers signaux alarmants. La liberté de circulation sur laquelle repose la construction européenne a été mise à mal avec la pandémie de Covid-19 qui a durement frappé l’Europe depuis janvier 2020. Elle a aussi montré qu’en cas de crise sanitaire majeure, les Etats européens étaient bien seuls, comme l’Italie, premier pays le plus touché par la pandémie.

La Chambre des députés après la Première Guerre mondiale était « bleu horizon », de la couleur des uniformes des anciens poilus qui pensaient sincèrement que ce serait « la der des der ». Si l’un de nos pays européens était aujourd’hui attaqué militairement, ses alliés seraient-ils prêts à s’engager dans le conflit ou serait-il laissé aussi seul que l’Italie face au coronavirus? Selon un expert français, la construction européenne, est «fille plutôt que mère de la paix » (6). L’idée des pères fondateurs de l’Europe, Jean Monnet et Robert Schuman, était de «rendre la guerre impossible entre les États membres, en mutualisant le contrôle du cœur de leur industrie de guerre». Dès son origine, la construction européenne ne s’est pas pensé «contre la guerre, mais à l’abri de la guerre». A partir de 1947,  une coopération militaire européenne s’est organisée, en pleine guerre froide, avec le traité de Bruxelles de 1948 entre la France, le Royaume-Uni et les pays du Bénélux. Le traité de l’Atlantique Nord a suivi en 1949 entre 12 pays européens. L’échec de la Communauté européenne de Défense (CED) en 1954 a enterré le projet d’une Communauté politique européenne (7).

Le bleu est aussi la couleur du ciel qui est infini, comme les alliances en Europe. La partie occidentale s’est unifiée dans les années 1950 contre la menace soviétique sous la protection américaine. Le président J.F Kennedy a suggéré en 1962, «une communauté transatlantique à deux piliers» avec un pilier ouest-européen de l’Occident libéral transatlantique (6). Après la fin de la guerre froide (en 1989), la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) créée en 1973 s’est institutionnalisée en devenant l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 1994. Elle réunit 57 États en 2020 pour faire le lien entre sécurité européenne et sécurité transatlantique (8). Avec la remise en cause du multilatéralisme par le président américain Donald Trump, depuis 2016, et la montée des rivalités géopolitiques (Russie, Turquie, et Iran au Moyen Orient ; Chine et ses routes de la soie), les pays européens sont confrontés à une situation inédite où ils doivent reprendre leur destin en mains s’ils souhaitent que la paix perdure.

Des révolutions de couleur ont éclaté, depuis quinze ans, en Europe et  dans le monde -  « orange » en Ukraine, « rose » en Géorgie, « vertes » dans les pays arabes. « Révolutions populaires pacifiques traduisant les aspirations sincères d’une société civile exaspérée par les fraudes, la corruption et l’étouffement des libertés publiques » (9), la « révolution de couleur » a été reprise par la littérature conspirationniste pour désigner « une tentative d’ingérence visant à fomenter des coups d’état soft contre des régimes jugés trop indociles à l’égard des Etats-Unis » (9). Des révoltes « jaunes » ont aussi émaillé la vie sociale en France, chaque samedi, sans aucun idéal.

La couleur est symbolique mais recèle une vraie menace. Si les incertitudes européennes et les égoïsmes nationaux devaient prévaloir  face à cette nouvelle crise du Covid-19, la prochaine couleur de l’Europe risque d’être  brune », comme la couleur des chemises fascistes et des uniformes nazis. Le noir n’est pas une couleur d’avenir pour l’Europe. Faisons le pari audacieux que le bleu l’emporte.

« Courage will always find a chronicler » (10)

 



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