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Numéro 41 - rive editoriale - décembre 2021

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Solidarité au sein de la « famille » Europe

Dans un héritage, on doit accepter l’actif, les souvenirs glorieux, comme le passif, les choses dont on est moins fier. Les secrets de famille constituent cet héritage dont on a honte. Ils peuvent être un ciment, tous les membres promettant de ne jamais trahir le secret, mais ils constituent le plus souvent les ferments d’une discorde qui couve parfois des années avant d’éclater.

Les groupes sociaux sont très proches des groupes humains. Les théories des organisations s’inspirent d’ailleurs des comportements humains. Prenons l’exemple de l’Union européenne, un corps social complexe qui a connu bien des péripéties jusqu’à un événement qu’aucun des pères fondateurs n’avait envisagé - le départ d’un de ses membres avec le Brexit décidé en 2016 par référendum par les Britanniques. Depuis, les leaders politiques européens ont réalisé que la marche en avant européenne pouvait s’arrêter à tout moment, avec des retours en arrière inquiétants.

Un pays est assez révélateur de ce processus. Auréolée il y a trente ans d’un certain panache, la Pologne a vu son image se ternir depuis 2015 avec l’arrivée au pouvoir, de manière démocratique, d’un gouvernement nationaliste et réactionnaire, le PiS. Les Européens les plus convaincus se souviennent avec émotion du combat courageux du syndicat Solidarność s’opposant bravement au régime soviétique ; dix ans de bataille (1979-1989) avec en deus ex-machina, un pape polonais élu en 1979 qui avait pris la tête d’une croisade antisoviétique. Jean-Paul II souhaitait que son pays natal devînt « une terre de médiation entre l’Occident catholique et protestant et l’Orient orthodoxe », dont il excluait la Russie à dessein (1). La figure de Lech Walesa a fait oublier que le projet de Solidarność était laïque, avec les figures décisives de Bronislaw Geremek, éminence grise du syndicat polonais qui deviendra ministre des Affaires étrangères, de Tadeusz Mazowiecki, qui sera Premier ministre, ou encore d’Adam Michnik, fondateur du journal Gazeta Wyborcza.

Quand la Pologne est entrée dans l’Union européenne en 2004 avec d’autres pays d’Europe centrale et orientale (PECO) - Hongrie, Républiques Tchèque et Slovaque, et Slovénie, elle a adhéré comme tout pays membre de l’UE à ses principes fondamentaux fort opportunément rappelés par le Conseil et le Parlement européens. L’Union européenne s’est dotée d’un dispositif assez unique dans les démocraties pour lutter contre toutes les formes de discrimination qu’elles soient liées au genre (sexisme), à l’origine ethnique ou à la nationalité (racisme et xénophobie), à la religion (en particulier l’antisémitisme), et à l’orientation ou l’identité sexuelle (homophobie). Ces principes étaient implicites depuis le Traité de Rome de 1957. Ils ont été mieux expliqués en 2000 avec deux Directives européennes qui ont fait date et la création d’une Agence européenne des droits fondamentaux (2). Ces principes n’ont pas pu échapper aux membres de l’UE, plus anciens ou nouvellement arrivés.

Curieusement, le gouvernement polonais en place depuis 2015 semble n’adhérer qu’à une partie du projet européen - son volet financier, qui lui a permis depuis 2004 de connaître un développement économique sans précédent avec des subventions européennes (en particulier les fonds structurels) qui l’ont aidée à rattraper un retard considérable pris sous le joug soviétique. Le PiS a « oublié » le volet politique et démocratique du projet européen. Les droits des femmes ont été bafoués, avec l’impossibilité pour toute Polonaise de pouvoir avorter, quel que soit le motif, depuis 2020, loi qui a causé la mort d’une jeune femme en 2021 (3). La politique anti-migration et le discours xénophobe contre les migrants tenu par le gouvernement polonais est une autre illustration d’une forme institutionnelle de racisme, que ne doivent pas faire oublier les événements avec la Biélorussie où le gouvernement polonais semble, à tort, être sorti « grandi », une victoire à la Pyrrhus (4). Les zones « anti LGBT+ » proclamées par certaines villes polonaises ou l’assassinat du maire de Gdansk en janvier 2019 qui avait pris la défense de la Communauté LGBT+ sont aussi assez éloquents (5).

La preuve la plus flagrante de l’esprit « anti-européen » du gouvernement polonais au pouvoir est la manière dont il présente son passé, et réinvente son histoire, en particulier pendant la dernière guerre. Les victimes de la Shoah polonaises ont été les plus nombreuses : trois millions de polonais juifs (hommes, femmes, enfants) ont été assassinés pendant la Seconde Guerre Mondiale ; seulement 10% de la communauté juive polonaise a survécu. Le pouvoir polonais refuse de reconnaître la responsabilité et la complicité implicite de la population polonaise à l’égard du régime nazi. Les autorités polonaises harcèlent judiciairement les chercheurs les plus éminents qui osent aborder cette vérité historique. Elles empêchent les familles des rescapés de demander réparations des spoliations, en plus des crimes et persécutions, dont elles ont été victimes. Il s’agit d’un révisionnisme d’Etat. (6)

L’Etat de droit n’est plus respecté en Pologne (7). Le pouvoir judiciaire n’est plus indépendant depuis la création d’une Cour Suprême qui met les juges sous la tutelle du pouvoir exécutif. Sur cette base, l’Union européenne a engagé un bras de fer avec le gouvernement polonais. La Commission européenne bloque les fonds du plan de relance européen post-Covid (36 milliards d’Euros) qui sont attribués à la Pologne. Le gouvernement polonais souhaite à nouveau se faire passer pour une « victime » du « régime européen » qui serait aussi brutal que l’ancien «régime soviétique ». La stratégie de « l’éternelle victime » a des limites, le cynisme aussi.

Le responsable du Haut Conseil aux Réfugiés (HCR), Filippo Grandi s’est inquiété des « murs législatifs » érigés en Europe, par la Pologne et d’autres pays frontaliers de la Biélorussie, contre les migrants (8). Il s’étonne que ces pays réclament une solidarité qu’ils n’ont pas pratiquée.

La Pologne devrait s’interroger sur les nombreux murs physiques, législatifs et psychologiques qu’elles tentent d’ériger pour masquer un passé et un présent peu glorieux. Face à un Jan Karski combien de Kaczyński (9) ?



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