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Numéro 42 - rive associative - mai 2022

Claire Millot, bénévole association Salam

Camps de migrants de Grande Synthe- à qui perd gagne

Depuis le début du 21e siècle, la commune de Grande-Synthe a été accueillante, sur le littoral, pour les exilés qui espèrent passer en Angleterre…

Le 23 novembre 2022, dernière opération d’évacuation, de « mise à  la porte », de tous ceux qui étaient encore sur le territoire de cette ville. De partout, les gens sont repoussés vers Loon-Plage, sous le Pont à roseaux, un endroit sans arrivée d’eau, sans benne à ordures…. « Go to Loon-Plage », a dit le personnel municipal, qui n’a sûrement pas eu cette idée tout seul… Sans doute la politique du pire, pour forcer l’Etat à faire quelque chose…

 « Quand il joue aux petits chevaux avec le Ministre de l’Intérieur, le maire de Grande-Synthe ne doit pas oublier que ce ne sont pas des pions en plastique avec lesquels ils jouent mais des êtres humains, avais-je pensé mais j’ai publié : « Quand il joue aux échecs avec M. le Ministre de l’Intérieur… » (1) Ce n’est pas l’image du bras de fer mais celle du jeu de société, plus policée, moins dépendante de la force brute, et  le jeu d’échecs est plus noble…

Les petits chevaux : un jeu de hasard. Nous, associations, avec nos amis exilés, nous sommes dans un jeu de petits chevaux permanent. On avance, on sait qu’on va être renvoyé à l’écurie, à la prochaine évacuation, on ne sait pas quand. Il n’y a pratiquement pas de stratégie possible… Le mythe de Sisyphe autant que celui du jeu de société.

Ou plutôt le jeu de l’oie. Le hasard complet du coup de dés. Ou on avance directement à la case 26 (on reçoit un don d’une camionnette de couvertures, la mairie installe trois points d’eau de plus). Ou bien tout tourne mal : on se retrouve dans la case prison. Ou le puits, fin de partie sans que personne ne soit venu nous délivrer - le camp est évacué et nos amis se retrouvent dans un autre trou à rats, sans arrivée d’eau, sans benne à ordures et sans toilettes.

Mais la partie qui se joue là ne se termine pas à l’heure du goûter…

Monsieur le Maire joue aux petits chevaux : il chasse les migrants de sa commune. S’il pouvait décemment les pousser sur la bande centrale de l’autoroute, il le ferait. Mais cela ne se fait pas… Alors il les chasse de Grande-Synthe : il a joué un 6. Il sort un cheval et il avance ! Et puis il voit… Ce n’est plus son territoire, c’est celui de la CUD, celle du sous-préfet, l’Etat donc, qui va (peut-être) intervenir… Ils n’interviennent pas ? Retour du petit cheval à l’écurie… Pérennisation de l’installation des exilés dans la boue, sans arrivée d’eau, sans benne à ordures…

 « Quand il joue aux échecs avec M. le Ministre de l’Intérieur… » il doit y avoir une stratégie où on doit imaginer plusieurs coups à l’avance, ceux de l’adversaire mais les siens aussi… Le Maire chasse les exilés de Grande-Synthe et ensuite ?

Première  hypothèse : il ne se passe rien… (C’est le cas). Ou il ne fait rien ; ou bien il lance un contentieux contre l’Etat, avec les associations, pour obtenir des infrastructures de santé publique…

Deuxième hypothèse : l’Etat envoie la Force publique pour déloger les exilés du terrain privé sur lequel ils se sont repliés ( le propriétaire est une personne, soit physique, soit « morale » comme le Port Autonome de Dunkerque, ou une commune, ou une communauté de commune…) Et alors ? Il les reprend à Grande-Synthe ? Ou il les laisse malmener et appelle la presse (locale et nationale) pour faire réagir en haut lieu… Ou bien ? Et après ?

Combien de coups faudrait-il, et lesquels, pour déboucher sur un accueil inconditionnel sur le littoral ? Finalement, M. le maire de Grande-Synthe joue plutôt aux petits chevaux…

Le 12 avril 2022 la police  regarde nos amis partir du camp par bandes successives, sans intervenir. Sur la plage de Leffrinckoucke un énorme projecteur les guette pour les empêcher d’embarquer. On joue aux gendarmes et aux voleurs…

Mais ce n’est plus un jeu : les « gendarmes » sont de vraies Forces de l’Ordre et les « voleurs » de pauvres gens qu’on a dépouillés de tout droit humain, de toute dignité…

(1) Newsletter Salam, Claire Millot, novembre 2021

 

 

 



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