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Numéro 42 - rive européenne - mai 2022

Peter Wells, Recteur honoraire Université de Northampton

Jouez! Jouez! Mais jouez le jeu ! (1)

Un tropisme commun et éculé est de considérer la vie comme un jeu, point de vue souvent attribué à Albert Einstein. Cependant, est-ce un signe de sagesse d’accepter une telle idée alors que nous naviguons du berceau à la tombe ou, est-ce une croyance fatalement erronée? Une réponse à cette question nécessite une certaine clarté sur deux points. Premièrement, ce qui est au cœur de la condition humaine et, deuxièmement, ce qui est inhérent à la notion de « jeu ».

Les relations sont au cœur de la condition humaine : celles avec les autres, celle que l’on a avec soi-même, celle qu’on a avec la nature et, pour certains, avec le transcendantal dans un contexte religieux. Nous aborderons les trois premiers types de relation.

Dans l’idée de « jeu », deux caractéristiques sont primordiales, même s’il n’y a qu’un seul joueur. La première est la notion de gagner ou de perdre ; la seconde concerne la gouvernance du jeu, c’est-à-dire les règles, les lois, les codes de conduite, etc.

Si la vie est un jeu, il est utile d’examiner comment chacun des trois aspects de la condition humaine se recoupe et interagit avec les deux caractéristiques nécessaires à l’idée de « jeu ». Prenons l’exemple de l’arène politique, souvent considérée, dans un sens large, comme le lieu où la condition humaine est le plus clairement dans l’action. Nous suggérons deux portraits politiques -  l’un illustrant l’idée selon laquelle la « vie en tant que jeu » est  limitative et négative ; l’autre, qui propose une facette positive qui permet d’améliorer la vie.

Dans un récent livre (2), Simon Kuper explique de façon convaincante la manière dont un groupe de personnes, principalement des hommes, a été éduqué dans les années 1970/1980 dans des écoles privées du Royaume-Uni (3) et l’Université d’Oxford. Ils étaient préparés à l’exercice du pouvoir politique. Leur éducation a consisté à acquérir une gamme de compétences rhétoriques – le but étant d’avoir l’argument le plus percutant, sans tenir compte de la véracité des faits ni même d’y croire. Kuper montre combien ce « jeu » s’est traduit de façon caricaturale dans la politique britannique. Pour certaines personnes, les faits sont à éviter ou à considérer comme malléables ; les arguments ad hominem sont privilégiés. La victoire se suffit à elle-même. Les joueurs de ce type ne considèrent pas leurs adversaires comme des partenaires mais comme des concurrents à vaincre. Enfin, ces acteurs politiques possèdent un égo si fort et immuable qu’ils ne peuvent pas prendre en compte une dimension sociale. Toute recherche de consensus est considérée comme une faiblesse.

Le deuxième portrait politique se trouve dans le dernier livre de Peter Hennessy (4). Il évoque la genèse du rapport Beveridge en 1942 (5) et son impact durable sur la société britannique au début du XXIe siècle. William Beveridge explique que cinq « maux » (6) doivent être combattus pour que la Grande-Bretagne puisse se remettre des énormes dégâts causés par la Seconde Guerre mondiale: le besoin, la maladie, l’ignorance, la misère et l’oisiveté. Comment la classe politique, et en particulier le gouvernement de coalition en temps de guerre puis celui des travaillistes réformistes en 1945, s’est-elle attaquée à une tâche aussi énorme avec des questions nationales aussi cruciales que la pauvreté, la santé, l’éducation, l’emploi et le logement? On peut apporter une réponse en examinant le « jeu » politique dans les années 1940. Même sans harmonie politique ni consensus constant, on s’accordait sur le fait que la recherche d’un partenariat, d’une coopération et d’une collaboration au niveau national permettrait de vaincre les cinq maux évoqués par Beveridge. Même si le jeu politique se caractérise par des différences inconciliables, un ennemi commun - les cinq « maux » - exige, selon les mots de l’économiste John Maynard Keynes, un « doux souffle de justice entre partenaires » (6)

Hennessy reconnaît que des progrès ont été accomplis pour lutter contre ces « maux». Mais il reste encore beaucoup à faire, d’autant plus qu’un sixième « super-mal » nous menace -  le changement climatique. Cette relation inhérente à la condition humaine a souvent été négligée dans le passé - notre rapport à la nature.

Si le jeu politique est un sous-ensemble tout en étant un élément important de la vie, quel jeu politique devrait-on jouer aujourd’hui? Le premier privilégie la forme sur le fond - la réputation et la performance sont considérées comme essentielles. Le second est celui qui prétend que le jeu politique, peu importe sa compétitivité, est plus pertinent lorsque les joueurs se respectent parce qu’ils savent être dans une relation d’interdépendance et de mutualité.

Le choix vous appartient- le « jeu » continue.

(1) Newbolt, Henry (1892). Vitai Lampada - The Torch of Life
(2)
Kuper, Simon (2022). Chums - How a Tiny Caste of Oxford Tories Took Over the UK. Profile Books: London
(3) à tort appelées « public schools »
(4) Hennessy, Peter (2022). A Duty of Care - Britain Before and After Allen Lane: London
(5) Beveridge, William, (1942). Social Insurance and Allied Services, Cmd. 6404, HMSO
(6) Qu’il appelle “géants”
(7) Thorpe, Keir, (1999). “The Missing Pillar - Economic Planning and the Machinery of Government During the Labour Administration of 1945-51” (unpublished PhD thesis, University of London)



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