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Numéro 43 - rive associative - décembre 2022

Claire Millot, bénévole association Salam

Rencontre de talents, élans de vie

On ne vit pas sur un camp de migrants, on  y survit…

On y végète… on est aux prises avec des problèmes d’approvisionnement en eau potable, de toilettes, de douches, de vêtements humides, ou sales, ou les deux, de distributions de repas dont on se demande si elles vont arriver… Et la dignité en prend un coup…

De petites choses permettent de tenir debout, de garder la tête haute : toutes les images qui me viennent évoquent la verticalité. Ne pas se coucher par terre, image de mort, ou de renoncement. Dans une telle précarité, le talent  aide, les nôtres aussi parfois…

Une femme, très discrète, fabriquait au crochet, sur le camp de la Linière, des habillages pour les boîtes de mouchoirs en papier… avec des restes de laine …. Quand elle nous voyait arriver, elle sortait de son chalet quelques exemplaires qu’elle vendait pour rien. Elle rayonnait alors : le sourire de Léonard de Vinci , après le dernier coup de pinceau de la Joconde…

Un jeune homme, dans un abri  du camp du Basroch, dessinait. Impressionnés par son talent, des bénévoles lui avaient apporté du matériel de peinture. Ses journées prirent un sens et il nous a laissé deux toiles. L’une représente le camp, assez réaliste, l’autre un carrosse somptueux tiré par des chevaux… Le camp, il lui suffisait de regarder autour de lui. Le carrosse royal, aux antipodes de sa vie du moment, il l’a trouvé en lui-même. Il échappait ainsi au sordide de sa situation.

L’écriture est un talent. Un jeune Malien était arrivé en 2015. Au Mali , il avait suivi l’école coranique. En 2019, il avait 17 ans quand il nous a donné un texte émouvant dont voici un extrait (recopié sans correction) :

« Je suis parmi les jeunes qui ont traverssé la méditerranée pour rejoindre la France ou l’Europe en un mot.(…) J’estime avoir de la chance, car ce sont des millions de jeunes qui ont voulu la même chose, mais malheureusement beaucoup sont Noyés et certains sont retournés au pays en abandonnant des doigs, pieds, ou même yeux. Imaginez vous, dans un monde où les cœurs s’éclatent de peur dans tout les coté. »

Et la musique… Si quelqu’un a emporté un instrument, il a été perdu, volé, cassé, en route… Quand une petite harpe arrive sur un camp, l’ambiance change ; les distributions sont plus calmes, les enfants s’y essaient, tous. Ils ont le sourire. Les grands retrouvent leur dignité. Le 8 juillet 2021, notre harpiste témoigne : « Je pose l’instrument au milieu du rond formé par les adultes et dès les premières notes, je reçois la plus belle des surprises, l’un d’entre eux se met à chanter avec moi ! Chanteur et professeur de sociologie à l’Université dans son pays, il espère, une fois en Angleterre, pouvoir chanter pour gagner sa vie. »

Nous ne mesurons pas toujours l’aide qu’un tel moment de complicité peut apporter : la rencontre des talents des uns et des autres…

Un de nos amis est passé au Royaume-Uni, en finissant la traversée à la nage, après avoir partagé un moment de musique avec une de nos bénévoles. Voici la fin d’un poème, qu’il a écrit et chanté dans sa langue pour elle, et ensuite fait traduire. " Je suis parti, mais j'ai enseigné mes chansons aux rossignols. Quand je suis parti, ils chantaient pour toi pour que tu te souviennes de moi. Toi qui avec ta musique as su apporter chaleur et lumière au moment le plus sombre de ma vie. "

Il n’y a pas que les étrangers, égarés sur notre littoral, qui aient besoin de cet élan de vie que donne le talent : toutes ces vieilles dames (qui ont souvent plus de 90 ans) qui tricotent sur notre Région, des écharpes et des bonnets. Et ce talent, mis au service des plus démunis, les fait tenir droites, encore debout - elles aussi - dans une symétrie émouvante avec ces hommes jeunes, qui cherchent à construire une vie nouvelle…



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