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Numéro 44 - rive associative - mai 2023

Claire Millot, bénévole association Salam

Résister, encore et toujours

Nous des résistants ?

Allons bon ! Les résistants, on les connaît… Ils se sont battus contre les Allemands, jusqu’à la mort. On les voit au Journal télévisé, traînés par terre par des policiers bottés et casqués, jusque sur la paille humide des cachots des Etats totalitaires…
Nous, non…

Pourtant, le matin du 4 novembre 2021, nous, membres des associations d’aide aux exilés de Calais, nous nous sommes opposés physiquement à une évacuation du camp de Marck en Calaisis (un rempart de nos corps, pacifique). C'était, à  ce moment-là, le camp le plus important de l'agglomération. A partir de 10 h 59, les forces de l'ordre ont reculé lentement. A 11 h 09 est venu l’ordre de repli. Les exilés ont pu emporter tentes et bâches. On a gagné !

On a gagné ? Rien du tout…

Le 6 novembre, la Vie Active a eu ordre de cesser ses distributions d’eau et de nourriture : les exilés n’ont plus que le petit déjeuner de Salam comme seul repas de la journée. Le 16 un talus est construit pour empêcher les associations d’accéder au site, depuis la veille les deux rues qui le desservent sont ajoutées sur la liste de celles qui sont interdites à la distribution de nourritures et de boissons gratuites, par arrêté préfectoral.

Pas reluisant le résultat, pour des héros !

Cependant,  nous sommes bien dans la résistance, mais plus proche de celle des matériaux que de celle de Lucie Aubrac : celle de l’acier, des remparts, ou même celle du roseau, qui plie mais ne rompt pas. Deux exemples :

Pendant le confinement total de mars à mai 2020, l’équipe de Salam à Calais a continué, seule, à donner à manger sur les camps de la ville, pendant que tout le monde se terrait sagement chez soi, et alors qu’aucune forme de mise à l’abri n’était envisagée pour les exilés par les autorités, pour les protéger eux, et la population en contact…

Le lundi 23 mai 2022, côté Dunkerque, après la fusillade qui avait eu lieu la veille à l’entrée du camp et le retrait des autres associations, nous n’étions pas très fiers, mais personne n’a voulu rester au local. Donner à manger et montrer notre soutien à des gens plus menacés que nous nous a semblé essentiel. « L’important est d’être là », m’a dit un ancien une fois que nos tables étaient installées.

Nous résistons aussi en participant aux contentieux menés contre les autorités (locales ou d’Etat) et parfois nous gagnons. Encore deux exemples :

En 2017 nous obtenons l’annulation des arrêtés municipaux à Calais d’interdiction de rassemblement pour la distribution de nourriture et nous obtenons des points d’eau, des toilettes, et un accès à des douches. Tout cela est insuffisant, encore loin de l’accueil digne dont nous rêvons, mais c’est un progrès et une victoire morale importante.

Le 12 octobre 2022, le Tribunal Administratif a annulé des arrêtés préfectoraux interdisant les distributions gratuites de boissons et de nourritures en certains lieux du Centre ville de Calais. Ils ont été jugés disproportionnés par rapport aux finalités poursuivies : pour le Tribunal ces distributions ne causaient pas de troubles à l'ordre public, ni de risques sanitaires. Seule l'atteinte à la salubrité publique a été admise. Mais "les interdictions édictées ne remédiaient pas aux abandons de déchets consécutifs à l'activité de distribution de denrées. »

Nous résistons par nos saisines au Défenseur Des Droits et aux rapporteurs de l’ONU, par nos témoignages obstinés, par nos interventions dans la presse, par nos votes aussi :

Nous résistons aussi contre la paresse, l’égoïsme qui sont en nous (en moi !) quand nous hésitons à donner un peu plus de notre temps, quand nous ne pensons plus qu’à raccourcir notre présence sur un camp certains jours d’hiver, pour retrouver notre douche chaude et notre couette… alors que nous savons très bien que nous allons les laisser eux, dans le froid et l’humidité, sous une bâche qui abrite une pauvre tente Quechua plus faite pour une semaine d’été au bord de la mer que pour plusieurs mois d’hiver…

Nous résistons avant tout contre une société qui accepte que des gens vivent dans des conditions dans lesquelles on ne laisserait pas un chien passer la nuit…

Et je laisse conclure mon ami Pierre, aussi bénévole à Salam : nous nous devons de résister « pas pour les gens de passage, ils passeront tous, mais résister car (ce n’est) pas acceptable ».



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