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Numéro 46 - rive éditoriale - mai 2024

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Over the rainbow

« Somewhere over the rainbow
Skies are blue
And the dreams that you dare to dream
Really do come true
» (1)

Le magicien d’Oz , immortalisé par la chanson « Over the rainbow » chantée par une femme enfant, Judy Garland, a été analysé par Salman Rushdie pour le British Film Institute, nous apprend Françoise Balibar, historienne des sciences et physicienne (2). Elle nous rappelle que « le Magicien d’Oz, que l’on peut à première vue qualifier de pure fantaisie, gratuite et loufoque, est en réalité un « film de formation », un Bildungsroman ». Salman Rushdie, écrivain indien (3) a été très influencé par ce fim qu’il avait vu à Bombay en Inde, plus connue pour la production cinématographique féconde de Bollywood. Rushdie avait compris qu’il «traite d’un problème essentiel : l’obligation qu’ont les enfants de prendre en mains leur propre destinée face aux déceptions que leur procurent inévitablement les adultes, si bien intentionnés soient-ils ».

Pour Salman Rushdie , l’histoire du Magicien d’Oz est celle du « rite de passage obligatoire, de l’enfance à l’âge adulte ; passage qui ne peut se faire qu’à travers la magie, seule expérience enfantine sur laquelle les adultes ne peuvent avoir prise ».  Il voit dans cette chanson, à la portée universelle et mondialement connue, un « hymne des émigrants du monde entier, de tous ceux qui partent en quête du lieu où “se réalisent les rêves que tu oses faire”. Prendre la décision de quitter le monde de l’enfance ou son pays, est difficile. On doit s’attendre à affronter des embûches, et se préparer à un vrai parcours du combattant.

Le plus difficile est de prendre la décision de partir. Le voyage est sans retour, on ne peut pas revenir en arrière. « Dès que nous avons quitté les lieux de notre enfance et entrepris de faire notre vie, écrit Rushdie, nous comprenons que le véritable secret… n’est pas qu’“on est vraiment bien chez soi”, mais qu’il n’y a plus de chez soi : sauf bien sûr celui que nous créons…, à Oz, c’est-à-dire n’importe où et partout, hormis l’endroit dont nous sommes partis ». Il faut s’attendre à une période difficile de transition et à des obstacles imprévus.

Souvent les professionnels qui accompagnent les exilés insistent sur cette nécessité de « faire leur deuil ». Leur pays n’a pas disparu, même s’il peut avoir été bouleversé par des guerres ou des catastrophes naturelles. Ils pourront peut-être y retourner un jour (par exemple quand les persécutions auront disparu). Mais il ne sera plus le même parce qu’ils auront changé ; ils ne seront plus les femmes ou les hommes qu’ils étaient. Les couleurs seront différentes. On ressent cette impression quand on retourne sur les lieux de son enfance où tout semble être autre, souvent plus petit.

Pour certains, les rites de passage se font naturellement, de l’enfance, à l’adolescence puis à l’âge adulte avec des crises nécessaires, souvent en remettant en cause l’autorité parentale ou en trouvant de nouveaux « rôles modèles ». Pour d’autres, les choses se grippent quand ils ne voient pas l’intérêt de quitter un monde protégé, pour affronter un monde nouveau qui leur a été dépeint comme hostile et plein de troubles. Il est alors nécessaire de déconstruire ce monde auquel on appartenait qui a pu être trompeur, et plus dangereux parfois que l’extérieur. « Que tout soit faux, voilà précisément ce qui enchante Salman Rushdie. Le pays réel, celui qui n’est pas l’endroit dont l’on vient, ce pays magique n’est que du toc. Mieux vaut le savoir : seule la magie est réelle, elle est notre terre d’exil, mais tout y est truqué, comme au pays d’Oz » conclut Françoise Balibar.

Il est important dans toute transition de pouvoir compter sur des médiateurs, pour nous guider et croire en la « magie, identifiée à ce par quoi on s’échappe du monde adulte, ou du monde tout court » qui ne soit « pas un rêve, mais un pays. ». Les premiers pas, quitter son « monde », sont les plus délicats. Quand ils ont été réalisés, on ne peut plus s’arrêter. On ne critique pas seulement sa famille, mais tout l’environnement qui nous a construits et qui nous entoure, surtout quand il a été bouleversé par une géopolitique troublée. Sans la rejeter, il faut transformer cette expérience acquise, pour construire « son » nouveau monde. Les psychanalystes parlent de « sublimation ». La solution n’est  pas forcément dans des contrées reculées, sur des terres australes quand on est un Européen. Il est là où son « nouveau moi » est accepté et bien accueilli, quelle que soit « sa » couleur de l’arc en ciel- bleu, rouge, blanc, vert, jaune, noir selon des puristes en la matière (4).

Pour surmonter le déchirement que crée inévitablement un départ, mieux vaut bien préparer son idée ou son projet, surtout quand de précédentes tentatives ont échoué. On est d’autant plus circonspect. Si la raison pour laquelle on est parti, le prétexte que l’on avait choisi, ne se réalise pas, il ne faut pas se décourager. Garder un bel optimisme est important pour continuer sa route sans se bercer d’illusions ; le chemin est sinueux et la pluie probable.

La chanteuse américaine de country Dolly Parton  nous y encourage -  « If you don’t have the rain, you don’t get the rainbow”. (5)

(1) Chanson écrite par Harold Arlen / E Harburg, et interprétée par Judy Garland dans le film ‘The wizard of Oz », Victor Feming, Etats-Unis, 1939 produit par la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) adapté de  Frank Baum's 1900 children's fantasy-  https://youtu.be/1hDGQo51M4o
(2) BALIBAR Françoise, « Le magicien d'Oz ou le pays de l'exil », Critique, 2003/6-7 (n° 673-674), p. 549-552. DOI : 10.3917/criti.673.0549 -https://www.cairn.info/revue-critique-2003-6-page-549.htm
(3) essayiste et romancier britannique d'origine indienne, il a été récompensé du James Tait Black Memorial Prize et du Booker Prize en 1981 pour "Les Enfants de minuit".  En 1988, son livre  "Versets sataniques" lui vaut la fatwa de l'ayatollah Rouhollah Khomeini. Il devient le symbole de la lutte pour la liberté d'expression.  En 1993, après des assassinats d'écrivains en Algérie, il co-fonde le Parlement international des écrivains, pour la protection de la liberté d'expression des écrivains dans le monde. Il s’est opposé au projet du gouvernement britannique d'introduire en droit le crime de haine raciale et religieuse. Il a reçu le Prix de la paix des libraires allemands en octobre 2023 à la Foire du Livre de Francfort. Son agression  au couteau par un terroriste islamiste  à New York en août 2022 lui a inspiré son dernier livre « Le couteau, réflexions suite à une tentative d’assassinat », Paris : Gallimard, 2024.
(4) Michel Pastoureau & Dominique Simonnet (2005) « Le petit livre des couleurs », Paris : éditions du Panama
(5) Si vous n’avez pas la pluie, vous n’aurez pas d’arc en ciel



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