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Numéro 46 - rive associative - mai 2024

Claire Millot, bénévole association Salam

Arc en ciel au-dessus d’un camp de migrants

Quel rapport entre les deux ? C’est d’abord l’angoisse de la page blanche… Mais très vite, un souvenir a surgi : c’était le 3 janvier 2019. L’image était là, forte, dans ma mémoire… Elle est ravivée par une photo. C’est un parking, un parking qui servait de lieu de distribution de repas aux migrants, au bord du lac du Puythouck, à Grande-Synthe.

On dirait qu’il est vide… Bélinda, notre harpiste, est assise au milieu, avec juste un exilé derrière elle et elle lui montre du doigt un arc en ciel, complet, magnifique. Elle fait face à la file des migrants qui sont venus manger (plus de 200 personnes, me dit le compte-rendu du jour). On ne les voit pas mais ce sont eux qui donnent du sens à sa présence, occasionnelle, parmi nous. Quand elle est là tout est tellement plus facile, plus serein. Et l’arc en ciel aussi contribue à cet apaisement. On  peut chercher toutes les symboliques dont on l’a chargé, le plus important, je crois, du moins ce jour-là, était sa beauté. Une musique et un décor apportent la paix, tout simplement parce qu’ils sont beaux…

Les symboles sont là aussi, cependant.  L’arc en ciel dessine un pont… Et de quoi ont-ils besoin nos amis, auxquels nous essayons d’apporter un peu de réconfort ? Mais d’un pont entre deux rives : entre notre littoral du nord de la France et les côtes de l’Angleterre… Il est là, au-dessus de nous tous, ce pont. Des contes affirment qu’il y a un trésor au pied de l’arc en ciel. Inutile de creuser : il est là le trésor, c’est le sol anglais, sous le pied gauche de l’arc.

Dans la Bible, il est le signe de l’alliance entre Dieu et les hommes, après le déluge.  C’est encore une forme de paix, cette alliance, c’est une réconciliation. Qu’ils soient croyants ou non, c’est bien de cela qu’ils ont besoin, tous ces gens qui ont fui la guerre, la guerre civile, la dictature ou tout simplement la misère, tous ceux qui ont vécu ce déchirement qu’est la rupture avec sa famille, son pays, sa langue, sa culture. Aucun de nous, qui les côtoyons jour après jour, ne croit qu’ils sont partis sur une envie de naviguer, de voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté du détroit du Pas-de-Calais. Tous nous sentons leur souffrance, d’abord par leur silence sur les raisons de leur départ, sur les conditions de leur voyage : on ne touche pas, ça fait trop mal.

Tous ont besoin d’être « réparés »… Et plutôt que l’image de résistance  portée par le mot « résilience », qu’on rencontre beaucoup actuellement,  je préfère celle du travail de l’artisan qui recolle les morceaux, après un accident de la vie qui met en pièces les êtres humains. Pour  se « réconcilier » on dit justement aussi, plus familièrement, se « raccommoder »…

Enfin, qu’y a-t-il de pire comme motif de persécution, pour ceux qui la fuient, que ce qui touche à la vie privée la plus intime, à ce qui devrait être ignoré sauf des plus proches, à ce qui n’a jamais causé la moindre guerre, mais tant de haine : la vie sexuelle. De l’excision à l’homosexualité, nous voyons arriver des gens qui ont été mutilés, blessés, torturés, qui en ont vu mourir d’autres pour cette raison. Nous en voyons passer, porteurs de cette douleur et nous ne le savons en général pas. Ils se taisent, habitués à la honte. Quand nous le découvrons, c’est  souvent  au hasard d’un document de demande d’asile, qu’ils nous confient sans rien dire. Nous respectons, nous nous taisons avec eux. L’arc en ciel a été choisi comme symbole (en 1978 à San Francisco) des LGBT : ce mélange de couleurs représente la diversité et la tolérance.

Que cet arc de paix les protège, tous nos amis chercheurs de refuge, que sa courbe les conduise comme un toboggan géant vers une vie meilleure…

(1) association Salam- L’association SALAM (Soutenons. Aidons. Luttons, Agissons pour les Migrants et les pays en difficulté, https://www.associationsalam.org/



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