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Numéro 48 - rive associative - mai 2025

Claire Millot, bénévole association Salam

Romantisme migratoire

Paul Valéry écrivait : « Il faudrait avoir perdu tout esprit de rigueur pour définir le romantisme ». Mais la place prise par le cœur et la passion, contre la logique et la raison, ne le caractérisent-ils pas ? Sur les camps de migrants, on trouve cette recherche d’absolu.

Un exemple en est, du côté des aidants, notre complice et ami très cher qui voulait s’enchaîner à l’entrée du camp et entamer une grève de la faim et de la soif illimitée, tant qu’il n’aurait pas obtenu l’accès aux droits (rien que ça !) pour nos amis exilés. Et cela, jusque dans la mort…

Du côté des habitants, on trouve le petit couple, découvert par une association amie sous une toute petite tente, à moitié affaissée… Lui est égyptien, en « voyage » depuis quatre ans. Elle est... française, dix-huit ans à peine. Elle a tout quitté pour lui (famille, études…). Ils sont amoureux. Ils sont seuls. Mais à deux!

Et nous-mêmes ? Nous-mêmes, qui nous nous obstinons, contre toute raison, à nourrir et réchauffer toute une population dans une situation désespérée, là où n’importe quelle personne raisonnable aurait depuis longtemps laissé tomber… avec des moyens financiers dérisoires (sans la moindre subvention  d’Etat), avec des moyens humains dérisoires, ne renonçant jamais, ni le jour de la Toussaint ni le 15 août, les deux jours de l’année où il est le plus difficile de réunir une petite équipe de bénévoles. Nous qui vidons la mer avec une petite cuillère, portés par un idéal insensé… Ne sommes-nous pas des romantiques qui s’ignorent ?

Le romantisme, aussi, s’exprime dans l’art… C’est là qu’on l’attend…La réalité ne se charge-t-elle pas, suffisamment, sans qu’il soit besoin d’en rajouter, de montrer dans quelles situations excessives se trouve cette population en exil ?…

27 morts et quatre disparus dans la nuit du 23 novembre 2021…

Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2024, quatre personnes mortes : un enfant de deux ans, écrasé dans un canot, et trois personnes, étouffées et noyées dans 40 cm d’eau, au fond d’une autre embarcation.

Et pourtant, à propos des exilés aussi, on retrouve le romantisme dans l’art :

Des artistes ont su trouver les mots : Jean Zibart (1), dans la chanson :

« Tout un peuple s’enlise

loin de la vérité

vers la terre promise

À Grande-Synthe ou Calais. »

Des artistes ou des amis dans leurs récits : Sylvie Desjonquères (2)

« Je suis petite

Je voulais la liberté et le bonheur d’une petite fille

Mais de tout ce que je voulais, je ne m’en souviens pas »

 Mais eux-mêmes aussi  sont capables de se dire :

« J’estime avoir de la chance, car ce sont des millions de jeunes qui ont voulu la même chose, mais malheureusement beaucoup sont Noyés et certains sont retournés au pays en abandonnant des doigs, pieds, ou même yeux.

Imaginez vous, dans un monde où les cœurs s’éclatent de peur dans tout les coté. » Makan (3)

Et les images

Des photos de pieds en particulier

les photos de Laurent Prum (4), par exemple,

les gens ont les pieds au bord de l’eau, les pieds dans l’eau, rien qu’à leurs regards vers eux, on la devine froide, très froide…

Une photo de Dominique Bouday (5), une amie d’Ardèche,

qui montre de près des pieds nus dans tongues, ou dans des savates trop petites…

Ou ce tableau de Nazila Garrigues (6) « Calais, un soir, lieu de distrib », qui montre d’autres pieds, dans la neige, de pauvres pieds mal chaussés, tournés dans un  sens, dans l’autre, qui montrent la position de celui qui attend, patiemment, parce qu’il a faim…

Cette façon de faire ressortir les sentiments… est-ce que ce n’est pas précisément ça le romantisme ? Et un engagement, sous toutes ses formes (dans le bénévolat ou dans l’art), serait-il possible sans un minimum de romantisme ?

 (1) Auteur-compositeur dunkerquois, guitariste, et interprète de chansons françaises engagées.
(2) Fondatrice de la « Maison Sésame », un lieu de répit, dans la commune d’Herzeele dans le Nord, pour les exilés les plus vulnérables.
(3) Jeune Malien qui a quitté son pays en 2015 à l’âge de 13 ans. A peine a-t-il appris les rudiments du français, qu’il s’est mis à écrire…
(4) Photographe et auteur engagé auprès des plus démunis. On trouve ses photos sur son blog et dans des expositions temporaires.
(5)Photographe ardéchoise engagée, organisatrice de nombreuses expositions, souvent inspirée par ses séjours sur le littoral nord à nos côtés.
(6) Médecin dans le midi et artiste peintre, souvent inspirée par ses séjours à Calais, engagée auprès des migrants dans l’association Salam.



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