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Numéro 13 - rive éditoriale - mai 2008

dr Bénédicte Halba, présidente fondatrice de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Cas de confiance

La confianceest un élément essentiel, fondant toute initiative humaine. La trahison est pourtant, comme la raison pour Descartes, " la chose du monde la mieux partagée " (1). Pourquoi trahit-on ?   


La cupidité est une première raison. L'appât du gain remplace l'intérêt général, les intérêts particuliers l'emportent sur la défense du bien commun. Le scandale de l'Association de Recherche sur le Cancer (ARC) dans les années quatre-vingts en est l'exemple caricatural. Certains dirigeants ont détourné massivement les dons dédiés à la lutte contre le cancer, et abusé la confiance de millions de donateurs et de bénévoles. Cette affaire a suscité une suspicion légitime à l'égard de toutes les associations qui font appel à la générosité du public.   

La jalousie est une autre explication. Le monde associatif est riche en exemples de projets prometteurs qui ont été sabotés et finalement laminés par des luttes fratricides. Un premier cas correspond à une mésentente entre les fondateurs, chacun se jugeant plus légitime pour défendre le projet originel et s'accusant mutuellement d'avoir trahi la cause. Un autre cas de figure est l'exclusion pure et simple des fondateurs par des héritiers, arrivés après la bataille, qui veulent récupérer la gloire sans avoir partagé les premiers combats. Le mouvement " sans frontiériste " (Médecins sans frontière, Vétérinaires sans frontières…) a été le lieu de luttes épiques, à la mesure de l'enthousiasme qu'il avait suscité (2).   

La lâcheté est enfin la raison la plus courante. Des trahisons ordinaires, de " petits malentendus sans importance " selon l'expression d'Antonio Tabucchi (3). Aux premières turbulences financières, les bénévoles ou les membres d'une association deviennent curieusement absents. Face à l'adversité, ils ne défendent plus le projet associatif. Certains choisissent la capitulation, d'autres rallient des projets concurrents. L'association disparaît par forfait, faute de combattants. C'est pourquoi la démographie associative est si difficile à appréhender. Les naissances sont déclarées à la Préfecture, les morts plus rarement, de grands projets enterrés dans l'indifférence générale.   

Mais le Phoenix renaît toujours de ses cendres. Paradoxalement, la trahison est un excellent moteur pour réagir et rebâtir sur des bases nouvelles. La saine colère qu'elle provoque permet de faire table rase, de repartir sur un bon pied, de manière radicale. Les traîtres sont indispensables au parcours des héros, une manière d'éprouver leur foi. Sans Judas, pas de résurrection possible.   

Une conséquence très positive du scandale de l'ARC a été la création d'un Comité de la Charte du "don en confiance ", organisme d'agrément et de contrôle des associations et fondations faisant appel à la générosité du public. Elle promeut la transparence et la rigueur financière. Le Comité a élaboré une Charte de Déontologie et donne son agrément aux organisations s'engageant à la respecter et à se soumettre à ses contrôles. Fort de plus de dix-huit ans d'expérience, il réunit aujourd'hui cinquante six associations et fondations, membres agréés (4).   

Face aux luttes fratricides et aux phénomènes d'entrisme souvent dévastateurs pour les associations, les héritiers ont été plus vigilants. Au début des années 2000, de grands mouvements associatifs ont adopté des Chartes qui prévoient des obligations réciproques entre adhérents et associations, des Codes de bonne conduite. Les statuts ont aussi été remaniés, modifiés et protègent d'éventuelles entrées en force inamicales (5).   

Faire confiance à l'avenir est la meilleure arme pour se prémunir contre les petites trahisons ordinaires. Ce n'est pas la preuve d'une naïveté angélique, c'est le parti de refuser la fatalité de l'échec. Simone de Beauvoir écrivait que " pour réussir l'avenir, il faut regarder le présent en face " (6). Les millions de bénévoles qui continuent inlassablement et avec le même enthousiasme d'œuvrer au sein des associations, contre vents et marées, sont les meilleurs témoins de cette foi en l'avenir. Il y a encore de beaux défisà relever, en toute confiance, " with flying colours " (7) !   
 
 
 
(1) Descartes (R.), Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, Paris, 1637. 
(2) Halba (B.), Bénévolat et volontariat en France et dans le Monde, La Documentation française, Paris, 2003. 
(3) Tabucchi (A.), Piccoli Equivoci Senza Importanza, Giangiacomo Feltrinelli Editore, Roma, 1985, 
(4) http://www.comitecharte.org/ 
(5) Halba (B.), Gestion du bénévolat et du volontariat, De Boeck, Bruxelles, 2006. 
(6) Beauvoir (S. de), La force de l'âge, Gallimard, Paris, 1960. 
(7) Expression qui remonte au temps de la marine à voile. Un vaisseau victorieux rentrait au port en faisant flotter dans sa mâture tous les drapeaux et pavillons disponibles ; il hissait " le grand pavois " (Bourjault J. , Moro B., Walters J., Flying colours, Editions Didier, Paris, 1992).



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