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Numéro 14 - rive et dérives - septembre 2008

dr Madeleine Marchi, enseignante, docteure en Littérature médievale

Souffrance et sollicitude

Le domaine du bénévolat est celui où le concept de sollicitude apparaît comme une évidence. Comment pourrait-on s'intéresser spontanément à autrui et se dépenser pour lui s'il ne provoquait qu'un regard rapide, teinté d'indifférence, au lieu d'éveiller en nous intérêt, empathie, compassion ?   


La sollicitude en effet repose tout d'abord sur l'intérêt immédiat, presque intuitif que l'on porte aux autres. L'ouverture à autrui semble être la première qualité requise pour faire preuve de sollicitude. L'égocentriste, le nombriliste, centré sur lui-même, obsédé par son moi passe forcément à côté d'autrui qu'il est incapable de voir dans le quotidien.   

L'indifférent, pas méchant pour autant, est tout à fait capable de verser une larme sur les malheurs advenus au bout du monde. Il peut s'attendrir sur les images que la télévision lui présente avec complaisance sans que cela le touche réellement mais il ignorera la détresse qu'il côtoie tous les jours.   

L'ouverture à autrui est donc indispensable mais il faut plus encore : être capable d'empathie. Porter une attention affectueuse aux autres permet de ressentir avec eux un mal-être difficile à exprimer. Cette angoisse, cette difficulté susceptible d'être allégée ne demande par forcément à être résolue mais simplement partagée. Savoir que d'autres s'intéressent à nous, font preuve de bienveillance, ne portent pas de jugement mais se contentent de tendre une main amie est précieux. Parfois cette attention nous tient debout et nous permet d'avancer. La sollicitude offre, sans attendre que l'autre ne se place dans une position gênante d'infériorité, une aide. La sollicitude est prévenance, elle évite à l'autre de " solliciter ". C'est l'une des subtilités de la langue française qui rend antinomiques le verbe et son substantif.   

La sollicitude n'a pas besoin que l'autre soit dans un état de souffrance pour se manifester, mais elle prend tout son sens dans les moments difficiles. Cioran, dans son humour amer, a bien mis en lumière les limites d'une telle attitude en affirmant que " nul n'est jamais mort ici-bas de la souffrance d'autrui ". Pourtant, lorsqu'on est impuissant devant le chagrin de l'autre, la seule chose que l'on puisse faire est de porter sa douleur avec lui. Il faut donc distinguer la sollicitude dans sa forme suprême, la compassion, de l'apitoiement superficiel ou de la simple pitié parfois humiliante. Se réjouir de la joie de l'autre, comme souffrir de sa peine, transforme autrui en " prochain " selon la terminologie chrétienne, c'est ce qui révèle l'universalité humaine, ce qui nous rend plus dignes du nom d'homme.   

Or le bénévole, s'il n'est pas un saint, est justement un homme avec ses sympathies, ses élans, ses antipathies aussi. Comme il est humainement impossible d'aimer tout le monde, la sollicitude envers autrui est essentiellement une attitude, un état d'esprit qui nous fait regarder l'autre différemment. Terminons sur cette parole bouddhiste qui exprime si bien cette idée : " Ayant médité la douleur et la compassion, j'ai oublié la différence entre moi et les autres ". Puissions-nous en être tous capables !



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