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Numéro 15 - rive académique - janvier 2009

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Don et pardon

Le pardonrésulte d'un cheminement personnel très fort et quasi surnaturel. Il s'agit d'annihiler la haine qui animait deux êtres ou deux peuples. Ce bouleversement émotionnel est souvent accompagné de larmes et de cris, il prend place dans un rituel qui donne un sens irréversible à cet effacement du ressentiment. Cet oubli permet au passé douloureux d'être remplacé par un présent apaisé.


Alfred de Musset l'avait admirablement mis en vers dans Nuits d'Octobre (1)

Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, Épargne-toi du moins le tourment de la haine ; A défaut du pardon, laisse venir l'oubli.   

Pardon est issu de pardonner et conserve de son origine verbale la force du mouvement qu'il suppose. En effet, demander pardon fait de la parole un acte, c'est ce que les grammairiens appellent la parole performative. Le lien entre interlocuteurs est un chemin parcouru pour celui qui implore mais surtout pour celui qui accepte cette prière : le pardon exige cette double relation. C'est la force illocutoire du langage. Si l'offensé refuse ce pardon, les mots seront restés vains.   

Rappelons-nous la scène finale entre Hugolin et Manon des sources dans le chef d'œuvre de Marcel Pagnol (2). La belle ne peut accorder son pardon à celui qui ruina sa vie en obstruant la source du domaine paternel mais elle fera preuve de mansuétude envers les villageois en rétablissant l'eau de leur fontaine. La métaphore de l'eau est intéressante : le pardon permet de rétablir la fluidité des échanges qu'une offense avait rompue. La vie de Manon doit suivre son cours comme cette eau, source de conflit et de réconciliation. Juridiquement, le pardon est la rémission d'une faute commise envers la société. On l'appelle grâce, amnistie et ce ne peut être que le fait de la libéralité exceptionnelle de l'autorité. Elle permet en effet au criminel d'effacer un passé gênant : cette amnésie sociale offre au pardonné de reprendre une vie normale. Au Moyen Age, les bannis écrivaient des lettres de rémission pour obtenir cette grâce spéciale. Son obtention assurait aux heureux pardonnés de pouvoir à nouveau vivre sans se cacher.   

Sur un plan religieux, le pardon est un temps fort de la liturgie. Chez les catholiques, la prière du Notre Père terminant toute célébration rappelle la réciprocité du pardon : " Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. " Le Grand Pardon de la religion juive est l'un des moments les plus importants de l'année : le Yom Kippour ou fête de l'expiation qui suit la fête de Roch Hachana (3).   

Dans la chanson de geste Renaut de Montauban (4), les aspects religieux et juridiques se mêlent dans la résolution du conflit opposant les quatre frères bannis à Charlemagne. L'empereur accorde, après de multiples refus, le pardon à Renaut qui avait tué son neveu. La pression des douze pairs, le sacrifice du cheval magique Bayard et les incessantes demandes du héros auront eu raison de l'opiniâtreté impériale. Une cérémonie religieuse ritualise le pardon du criminel : le repenti devra effectuer un pèlerinage expiatoire à Jérusalem. La séparation des quatre frères révèle que le pardon est aussi une certaine forme de mort.   

Don, pardon et bénévolat les mots se croisent et s'éclairent. Le lien renforcé, l'oubli et le chemin vers l'autre sont des points communs évidents. L'entrée dans une association a quelque chose du rite : le don offert par le bénévole n'a de sens que si le monde associatif le reçoit. C'est l'un des grands mystères de l'engagement : le lien très fort qui se tisse ou non, la liberté de chacun pour faire route ensemble. On reproche parfois au bénévole d'être un papillon qui peut butiner plusieurs associations, mais il contribue à la floraison de ces dons. Le par-don montre le chemin de la réussite de ce lien : il faut donner et recevoir, oublier et vivre le moment présent.   
 
 
 
(1) Alfred de Musset, Nuits d'octobre, 1837. 
(2) Marcel Pagnol, L'eau des collines, tome 2, Manon des Sources, 1963. 
(3) Roch Hachana ouvre l'année, le Yom Kippour marque dix jours de pénitence après cette fête. 
(4) Cette épopée est évoquée dans les rives de septembre 2004 - numéro 1.



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