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Numéro 15 - rive de Bulgarie - janvier 2009

dr Anna Krasteva, Maître de conférences en Sciences politiques, directrice du Cermes, rédactrice-en-chef de la revue Southeastern Europe, publiée par Brill

Pardonner mais ne pas oublier

Comment faire face au passé se questionnent les sociétés qui sortent d'une période traumatique de leur histoire. Ivailo Ditchev, anthropologue bulgare, énumère quatre formes : pardon, vengeance, justice, amnistie. La vengeance et la justice récompensent ceux qui ont souffert, le pardon et l'amnistie effacent leur peine pour qu'une nouvelle page puisse s'ouvrir. Le pardon est personnalisé dans les deux sens, l'amnistie est le résultat de procédures et d'institutions bureaucratiques et anonymes. (1)   


Que faire des collaborateurs des services secrets communistes ? Telle est la question qui a longtemps divisé la société bulgare et ses élites politiques. Au début, la mémoire était encore fraîche et les archives - intactes, mais on a préféré couvrir le passé par le silence. Ce n'est qu'à la fin de la transition démocratique qu'une loi a été votée autorisant l'ouverture des fichiers.   

Le public aujourd'hui est régulièrement informé sur ces anciens collaborateurs. Il est frappant qu'ils appartiennent à tous les cercles politiques, culturels, journalistiques… Il n'y a pas un seul groupe parlementaire qui ne soit touché par ces révélations. Les collaborateurs sont présents dans tous les partis - de gauche et de droite, de mouvance libérale, conservatrice, socialiste, des partis de la majorité, ainsi que dans le parti représentant la minorité turque.   

Un film documentaire illustre cette situation tragico-comique de l'élite culturelle. On est en train de tourner l'histoire de Hristo Totev, un directeur de cinéma qui avait été surveillé par les services secrets et qui a lui-même participé au scénario de sa biographie. En novembre 2008, la Commission des fichiers révèle alors l'identité des agents secrets parmi les responsables de la télévision nationale…le nom de Hristo Totev apparaît. Son histoire s'est avérée encore plus " vraie " : celui qui aurait été surveillé par des agents secrets a été lui-même collaborateur de ces mêmes services…Objet et sujet de la surveillance communiste ne font qu'un. Drame humain, drame artistique, drame déontologique : doit on continuer à tourner le film ou y renoncer ?   

L'anticommunisme serait-il initié, formé et développé par les services secrets communistes ? La question naît spontanément à la lecture de la liste des collaborateurs parmi les journalistes. On découvre des noms emblématiques de journalistes connus pour leur critique féroce du communisme et ses nombreux avatars postcommunistes. Peut-on croire à l'authenticité de cette critique ? Ont-ils le droit moral de former l'opinion publique ?   

Sanctionner ou pardonner ? Au début de la transition, l'un des premiers leaders de l'opposition démocratique a dû quitter la vie politique après les révélations qu'il avait faites aux services secrets. A la fin de la transition, on a découvert que le président de la République Georgi Parvanov avait lui aussi un dossier. Cette révélation ne l'a pas empêché d'être reconduit dans un second mandat. La force de la sanction morale s'affaiblit.   

Mémoire ou pardon ? St Augustin distingue trois formes de présent : tourné vers le passé (la mémoire), vers le futur (l'attente) et vers le présent (l'attention). Durant de longues années, le postcommunisme bulgare a préféré se tourner vers l'Union européenne, la mondialisation… Il a mis du temps avant de réaliser l'idée de Paul Ricoeur du devoir de mémoire (2). La mémoire culturelle doit être partagée tout en restant critique. Pour la mémoire politique postcommuniste, les citoyens ont le droit de savoir ceux des leaders, artistes, journalistes qui ont été intimement liés au communisme et à la police secrète. Il ne faut pas se laisser manipuler, ni non plus se venger : simplement pardonner sans rien oublier !   
 
 
 
(1) Ditchev I. Les institutions de l'oubli. Vengeance, justice, pardon, amnistie.-Dans : Znepolski I. et H. Wisman. La philosophie devant les défis des changements. Sofia : Maison des sciences de l'homme et de la société, 1998. 180 - 192 (en bulgare). 
(2) Ricoeur P. La mémoire politique.- Dans : Znepolski I. et H. Wisman. La philosophie devant les défis des changements. Sofia : Maison des sciences de l'homme et de la société, 1998. 24 - - 40 (en bulgare)



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