← Retour

Numéro 20 - rive académique - septembre 2010

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Confins, l'au-delà de la frontière

Finis et limes désignent la frontière en latin. Les deux mots sont au départ utilisés dans le domaine agricole. Finis est " une borne " (1), limes un " chemin bordant un domaine ". De la même manière, confins, issu de confinium dérivé de finis, est une " limite commune à des champs, à des territoires ". Au pluriel, fines signifie " les frontières d'un pays " ou " le pays limité par les frontières ". Cette limite flottante est à la périphérie de l'empire romain sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Dans la conception latine d'une expansion militaire continue, le limes se " matérialise " par des fronts fortifiés (2). Cette ligne devient plus floue dès qu'elle est considérée comme un espace de franchissement aux confins d'un pays. Les mots français limite et son dérivé limitrophe reprennent ce sens originel de " démarcation entre deux terrains ou des territoires contigus ". Au Moyen Age, le mot finage désigne la " limite, borne ", mais n'a pas perduré. Le mot fin ne désigne plus la " frontière " mais l'" aboutissement " (3), comme son synonyme terme.  

Frontière et confins tracent les contours flous des espaces limites. Frontière est un mot de création française. C'est, au XIIIème siècle, le " front d'une armée ", la " ligne de bataille ". Par extension, le mot prend le sens de " défense, résistance " (4). L'acception moderne de " limite entre deux Etats " l'emportera sur les autres au XIVème siècle. Frontière évoque implicitement l'idée d'affrontement, celle des hommes en armes défendant les contours du pays, qu'une guerre peut toujours modifier. Le mot confins n'existe qu'au pluriel. Il désigne les " parties d'un territoire situées à son extrémité, à sa frontière ". D'où l'acception de " bout, espace éloigné " puis de " point extrême ". Il signifie aussi le " passage intermédiaire entre deux situations ". Le confinement est utilisé dans le champ judiciaire pour signifier l'" enfermement " dès le XVIème siècle. Le XIXème siècle raffine la peine, c'est l'" isolement du captif ". Confiner exprime l'idée de " se limiter à un espace restreint ", d'" être contigu " puis d'" être proche ".  

No man's land, terres inconnues, les confins nourrissent l'imagination des aventuriers. Erik le Rouge découvrit le Groenland au Xe siècle après avoir été banni d'Islande. La " terre verte " (traduction du danois Gr?enland) était censée attirer les pionniers norvégiens dans cette île inhospitalière (5). Le nom de la capitale Godthaab " bonne espérance " continue cette métaphore de la terre prodigue … dans les rêves des colons. C'est le double visage des territoires extrêmes, fertiles en aventures et en imagination. Aujourd'hui, les pionniers modernes prennent le visage des volontaires. Ils sont sans cesse confrontés au même dilemme lorsqu'ils s'aventurent dans les confins. Doivent-ils renoncer ou s'engager quel qu'en soit le prix ? Quand ces confins tournent au confinement, l'aventure s'arrête.  

La frontière évoque toujours l'idée d'un combat à mener. Rappelons le discours de John Fitzgerald Kennedy sur la Nouvelle Frontière (6)  

Aujourd'hui certains disent que les combats de pionniers sont terminés, que tous les horizons sont atteints, que toutes les batailles sont gagnées, qu'il n'y a plus de " frontières " en Amérique. Moi je vous dis que la " Nouvelle Frontière " est là, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière sont les domaines inexplorés de la science et de l'espace, les problèmes non résolus de la paix et de la guerre, des poches d'ignorance et de préjugés non encore réduites, la contradiction entre la pauvreté et la surproduction  

Les confins sont " l'au-delà de cette frontière ", " ses domaines inexplorés ". Le mouvement du sans-frontiérisme (Reporters sans Frontières, Médecins sans Frontières…) entend dépasser ces limites et révèle tous les jours que chaque front mérite un combat. Il revivifie alors l'étymologie de volontaire, ce jeune officier engagé sur les premières lignes de l'armée pour affermir son courage (7). 

  1. On sait que la borne latine était divinisée et prenait la forme du dieu Terme. Ovide lui faisait dire : " Aux autres peuples a été donné un territoire limité/ La ville de Rome et le monde ont la même étendue " (Fastes, II, 688).
  2. De manière très emblématique, les " portes des provinces " étaient les lieux où étaient construits les clausurae, ces forts qui contrôlaient les lieux de passage.
  3. Rappelons que le Finistère est le pays où " se termine la terre ". L'idée de " délimitation entre deux espaces voisins " se retrouve dans horizon, du grec horos " ce qui délimite le champ de vision ".
  4. La locution prépositive en frontière de signifie " en face de " et " de manière à pouvoir résister aux attaques de quelqu'un ". Cette acception daterait du XVe siècle, il faut y attacher le verbe affronter, au sens initial de " mettre front à front deux armées ". Pour en savoir plus sur la frontière, voir notre article " Vocabulaire de la frontière ", paru dans Tropisme des frontières. Approche pluridisciplinaire, L'Harmattan, 2006, p.19-30.
  5. Un désert de glace couvre près de 95 % de sa surface. La toundra peut seule résister aux rudesses du climat. Les mousses, herbes et bouleaux rampants résistent aux vents asséchants dans un sol gelé en profondeur.
  6. John Fitzgerald Kenendy, Discours d'acceptation de l'investiture à la Convention du Parti Démocrate, 15 juillet 1960
  7. Voir Bénévolat et Volontariat en France et dans le monde, B. Halba, Paris, les Etudes de la Documentation française, p.13-14



devenez contributeur des rives d'iriv

← Retour