← Retour

Numéro 33 - rive éducative - décembre 2017

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

Au commencement était le partage

« Il faut partager » cette phrase constamment dans une journée de classe maternelle, répétée par les enfants et leurs enseignants. Elle semble une maxime du cycle 1 de l’Education nationale.  La socialisation de l’enfant passe par le principe du partage - ne pas s’emparer d’objets ne nous appartenant pas, ne pas garder pour soi un jouet ou un jeu collectif, apprendre la frustration en cédant un jeu à autrui. Partager est une règle d’or d’insertion dans la vie collective. Il fait partie de la discipline. Il permet  d’aller vers l’autre, d’exercer la propriété individuelle en prenant conscience de l’altérité. Partager implique une concession sur l’usage, un cadeau, une donation. « Partage ton pain avec celui qui a faim » (1) ne déroge pas au principe de laïcité français. Il tient compte de l’évolution sociale du pays et du monde.

Le partage est un élément essentiel des politiques publiques –quel que soit le bord politique. Comment partager quand on dispose de ressources sans spolier personne ? La sécurité sociale et les autres formes de systèmes sociaux collectifs reposent sur le  partage. L’Etat a un rôle de protection et de redistribution « équitable » des ressources. Le système de dons aux associations - don de soi (bénévolat), de temps, de compétences, d’argent, de nourriture etc.- est un modèle de partage. La personne qui « donne » n’attend rien en retour. Le don peut générer des avantages - par exemple avec les rescrits fiscaux. On donne parce qu’on a quelque chose que l’autre n’a pas ou plus.

L’être humain redouble d’ingéniosité pour utiliser différemment des objets du progrès, appréhender de nouvelles relations humaines ou évoluer dans son environnement. De nouveaux modes de vie apparaissent -co-voiturage, échanges d’objets usuels, services divers, co-working, co-développement. Ils s’installent durablement dans les relations sociales. etc. On parle parfois de co-partage. Le partage devient échange et ouverture. On partage un espace -un lieu, une voiture, on partage des opinions, des points de vue, des idées (2) etc.

Dans l’économie collaborative, l’usage individuel est remplacé par un usage collectif du bien.  Le numérique couplé à une crise sociale et économique et une volonté de protection de l’environnement a  réinventé le « don ». On évite l’achat inutile en partageant l’usage. Les sites de jobbing partagent les compétences. Les propriétaires partagent  les logements - sur Airbnb, dans le couchsurfing ou l’échange d’appartements ou de maisons entre particuliers. D’un côté,  l’idée est de s’entraider et de re-créer des liens. D’un autre côté, on développe des dispositifs alternatifs de consumérisme, qui correspondent à de nouveaux besoins.

On peut partager des connaissances, des savoirs  entre collègues ou des résultats de recherches ou d’expériences entre pairs. Pour Thucydide « avoir des connaissances sans les partager c’est se mettre au niveau de celui qui n’a pas d’idées ?» (3). Ce partage prend la forme de conférences, de séminaires, de forums…  Sur Internet, les cours en ligne (4) en font leur leitmotiv (5). L’ampleur qu’ils ont prise dans le milieu de la recherche est liée à l’exigence de diffusion et de vulgarisation de ses travaux (6). Edgar Morin parle « d’ouvrir les fenêtres du savoir universitaire » (7). L’apparition des termes  co-apprentissage, co-action en sont les preuves (8). Le but ultime du partage est d’essayer de faire du commun en partant des situations d’unicité car « à quoi bon acheter quand vous pouvez louer ou échanger ? » (9). Le partage peut concerner le domaine de l’intime et des sentiments pour pouvoir discuter de ce que l’on ressent avec son entourage.

Les émotions se partagent avec des amis ou des personnes qui vivent la même situation, parfois avec des spécialistes. Des groupes de paroles discutent d’addictions diverses - chacun vient avec ses problèmes pour les partager avec le groupe. Au sein de ce dernier, s’installe un partage entre pairs qui se ressemblent parce qu’ils sont confrontés aux mêmes problèmes.

Il est difficile d’énumérer toutes les formes de partage. On peut seulement reconnaître que le partage est devenu une réalité dans nos sociétés actuelles, qui sont plurielles. Cette idée du passé, fondement de toute société, a un avenir plein de promesses.

(1)  Esaïe 58,  Bible de Jérusalem
(2)  Bénédicte Manier, Un million de révolutions tranquilles , Paris, 2012
(3)  Thucydide, L’histoire de la guerre de Péloponnèse – Vè s. Av. J.C
(4)   MOOC- Massive Open Online Courses
(5)  « Les bâtisseurs du possible » est un projet dont le dispositif de formation donne une large part au partage entre pairs- des enseignants
(6) Diffusion et vulgarisation sont associées au partage dans un processus de construction mutuelle, de participation commune, d’interaction, de co-action
(7) interview accordée au journal Le Monde,  mars 2009
(8) Mais le partage des connaissances suscite encore beaucoup d’interrogations que nous n’allons pas aborder dans cet article. Ceux qui désirent en savoir plus peuvent lire les œuvres sur le partage de connaissances dans les sciences sociales
(9)  émission « 7 millions de voisins » animée par Emmanuelle Bastide sur RFI ,  février 2013

 



devenez contributeur des rives d'iriv

← Retour