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Numéro 35 - rive éducative - décembre 2018

Christiane Adjovi, Master en Sciences de l’Education (Université de Paris VIII) et Master en Sociologie et Anthropologie (Université de Cotonou)

Renaître par l’éducation

« Une éducation authentique est donc un exercice raisonné de l'influence, mais d'une influence qui accepte sa mise en échec permanente, et qui accepte que, dans cette mise en échec, l'autre naisse, apprenne et grandisse.  (1)

Le terme "Renaissance" est utilisé en 1855 pour la première fois par Jules Michelet pour évoquer la "découverte du monde et de l’Homme" au XVIe siècle. Jakob Burckhardt en fait le début de l’humanisme et de la conscience moderne dans son ouvrage Civilisation de l’Italie au temps de la Renaissance (1860). Elle est marquée par un essor culturel important avec le développement de la littérature et de l’art. Pour André Chastel « la Renaissance était la seule période de l'histoire qui se fût donné un nom dès les premières manifestations de son essence »(2). En dehors de l’aspect culturel, la période de la Renaissance a été aussi marquée par d’énormes ajustements dans le domaine de l’éducation.

La renaissance, au-delà d’une période historique, fait référence à une idée de renouveau, de renouvellement, une nouvelle naissance et donc un changement, un progrès, une tournure, un rajeunissement, une amélioration, un nouvel essor.  Lorsque François Ferrer (3), fusillé en 1909, s’écrie « vive l’école moderne », il proclame la renaissance de l’école quelques secondes avant sa mort. Le contenu et la forme de l’éducation sont étroitement liés au temps mais aussi à une profonde résistance au changement.

La question du changement s’est toujours posée en matière d’éducation. Sur le plan politique, elle cristallise à la fois des volontés, des velléités, des crises et des conflits.  Elle mobilise d’importants moyens financiers et humains. Elle a aussi un caractère fortement symbolique qui en fait un outil de pouvoir. La renaissance de l’éducation peut faire référence à une nouvelle manière d’apprendre, à de nouveaux canaux d’apprentissage. Les programmes du système éducatif doivent s’adapter aux évolutions économiques et technologiques et permettre aussi de rajeunir l’éducation pour tous.

La renaissance évoque l’humanisme. Elle est ouverte sur l’homme et le monde. Elle est multidisciplinaire, multifocale et vise des apprentissages tournés vers l’être et son environnement. Les intentions et les objectifs à l’époque de la Renaissance visaient déjà à rompre avec l’époque médiévale - la scholastique. Après de grandes réticences, François 1er parvient à imposer une volonté politique réformatrice en créant le Collège de France en 1530. Rabelais a joué un rôle important dans cette rénovation en apportant de nouveaux objets d’apprentissage, et de nouveaux principes éducatifs en France.

Aujourd’hui, les nouvelles formes de pédagogies ont bousculé les méthodes traditionnelles d’apprentissage. L’évolution des nouvelles technologies (en ligne) et la formation continue (4), constituent des facettes diverses de l’éducation qui participent au renouvellement de l’éducation, peu importe le niveau socio-économique et professionnel. La reprise des études (pour des jeunes déscolarisés ou des moins jeunes) constitue un véritable bol d’air- « renaître » en renouant avec les études. Ces personnes souhaitent être mieux « éduquées », changer de vie, de métier etc. Réorientation professionnelle ou nouvelle expérience éducative, cette renaissance est parfois mise en mots. Elle peut prendre la forme d’histoires ou de récits de vie. Des personnes à un tournant de leur vie ont pu « croiser les savoirs » à travers par exemple de «la validation des acquis de l’expérience professionnelle (qui) permet aujourd’hui de légitimer les apprentissages non scolaires de ceux qui ont échoué à l’école, et ont suivi un itinéraire atypique mais formatif, dont la société reconnaît qu’il vaut bien celui de l’étudiant » (5)

Pédagogie du sujet et pédagogie active (6), l’éducation tout au long de la vie emploie des méthodes actives et prônent une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs -  intellectuels et artistiques, physiques, manuels et sociaux. Elle constitue une décentration du contenu pour se polariser sur le sujet. L'apprentissage de la vie sociale est essentiel- l’apprenant n’est pas un terrain vierge. Il est une ouverture à son environnement tel que le prônait Freinet en introduisant le sujet-apprenant dans un groupe(7). De nombreux auteurs (8) ont contribué à une nouvelle perception de l’apprentissage. La classe inversée ou renversée, pour apprendre autrement et apprendre en faisant (le principe du learning by doing), est un autre aspect du renouvellement de l’éducation.

La renaissance introduit une discontinuité pour éviter la parcellisation, la fragmentation, en privilégiant l’interconnexion, l’interaction, la confrontation, le décloisonnement, dans un champ multidimensionnel pour coller au « social en ébullition » (9) et en pensant la transversalité au sens de René Barbier (10). Certains proposent d’« imaginer un monde différent où chacun se formera au gré de ses besoins et de ses engagements » (11)

Passer les frontières : les séjours linguistiques et autres échanges scolaires (12) sont rentrés dans les mœurs. Ils ne sont plus un phénomène de mode réservé à quelques-uns.  L’ouverture de diverses formations à des disciplines qui en étaient éloignées marque un grand pas dans le progrès de la multidisciplinarité qui est devenue une réalité. Il s’agit de mobilité dans une connexion de temporalités spatiales mais aussi intellectuelles, un véritable « rhizome » (13).

Le « projet » dans ses formes diverses (qui s’imbriquent et s’interpénètrent) contribue à ces réalisations, loin des injonctions de créativité et d’individuation. Il est un outil à la fois psychologique, social et intellectuel. On retrouve du mimétisme, du bricolage, de l’intuition, de l’improvisation et de la reprise, l’urgent et le facultatif. En domptant le temps et l’espace, il permet de s’ouvrir à des perspectives nouvelles (14)- l’éducation comme une éternelle renaissance.

(1) Philippe Meirieu, « La pédagogie au cœur des contradictions », article consulté sur internet le 1er novembre 2018
(2)  Encyclopedia Universalis, consulté en ligne le 30 octobre 2018
(3)  De son vrai prénom Francisco, Ferrer était un libertaire espagnol  intéressé par l’éducation
(4)  L’apprentissage se déplace aussi vers l’apprenant : à l’hôpital, les petits malades peuvent bénéficier de l’école avec l’aide d’enseignants de bonne volonté- par exemple l’association « le cartable connecté »
(5) Lucette Colin et Jean-Louis Le Grand, 2008, L’éducation tout au long de la vie, Paris, Economica Anthropos, P103
(6)  L’ensemble des pédagogies dites nouvelles ou alternatives en général
(7) De La Garanderie A, 1980, Les profils pédagogiques : discerner les aptitudes scolaires, Paris, Le centurion
(8) Dewey, Pestalozzi, Steiner, Decroly, Ferrière, Montessori, Freinet, Oury, Rogers etc
(9) De Georges Gurvitch, 1972, Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion
(10) René Barbier, 1997, L’approche transversale, Paris, Economica
(11) Ibidem, page 60
(12) Le programme Voltaire ou les échanges Erasmus
(13)  au sens de Deleuze et Guattari
(14)  Cf  Jean-Pierre Boutinet « Anthropologie du projet », PUF, Paris,  1990 aux éditions PUF



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